Utah,
sur la route 12 vers Bryce Canyon
Depuis Torrey en direction du sud-ouest, la route 12 vers Bryce Canyon arrache au Routard une exclamation : "Quelle merveille que cette route...!".
Sa diversité est effectivement remarquable, mais notre circuit a jusque-là été si riche de somptueux et divers panoramas qu'en voilà de nouveaux, différents, mais qui ne suscitent pas le même entrain, malgré de très belles surprises, toujours présentes.
La 12 traverse d'abord de grands pâturages où paissent paisiblement des chevaux derrière leurs barrières blanches, et plus loin des bovins.
Les vaches, essentiellement des génisses, semblent n’appartenir ici qu’à une seule race, petite, noire ou sombre robe, nerveuse. Leur pis modeste ne les apparente pas a priori à des laitières ; plutôt des vaches à viande, malgré une morphologie pourtant peu dense en muscles.
Un troupeau, peut-être échappé d’un enclos, traverse ailleurs sans hâte notre route.
La route 12 s’élève rapidement dans les lacets amples vers des hauteurs boisées montagneuses (la "Dixie National Forest") où prédominent des résineux du type de l’épicéa, et de nombreux bouleaux (« birch trees ») dont les troncs blancs très hauts se hérissent en s’étirant par-dessus d’autres petits conifères.
On y croise aussi à nouveau un petit groupe d’antilopes ou plutôt de daims qui, à distance, broutent sans peur.
Mais plus haut dans la montagne, quelques voitures ont dû pendant la nuit en rencontrer d’autres groupes plus nombreux : on aperçoit, échelonnés sur quelques kilomètres, trois cadavres de daims le long de la route.
Domaine de prédilection de quelques familles voyageant dans leur immense camping car, les vastes espaces offrent à chacun la garantie de trouver de beaux sites bien isolés en retrait de notre route à l’orée protectrice des forêts.
On y croise aussi à nouveau un petit groupe d’antilopes ou plutôt de daims qui, à distance, broutent sans peur.
Mais plus haut dans la montagne, quelques voitures ont dû pendant la nuit en rencontrer d’autres groupes plus nombreux : on aperçoit, échelonnés sur quelques kilomètres, trois cadavres de daims le long de la route.
D’un belvédère, le regard saisit tout le panorama du plateau-vallée vers l’est, dont l’ocre voilé de la roche rappelle le caractère semi-désertique.
Un peu plus loin, l’altitude s’élève encore pour dépasser à son apogée les 2900m.
La végétation se fait plus rare et la forêt ne se compose plus que d’arbustes tenaces sans pour autant que le paysage devienne minéral.
Quelques fermes dispersées se nichent au pied de falaises.
A gauche de la route (nous allons vers le sud), une vallée se creuse en reliefs érodés calcaires aux sommets très arrondis semi-désertiques, souvent arasés, annonçant aussi un petit canyon dont les parois verticales retrouvent progressivement l’ocre de la grande région.
Cette région est celle du parc "Grand Staircase-Escalante National Monument " plus au sud, par où nous ne ferons pas de crochet.
De fines et très régulières strates courent comme des courbes de niveau, soulignant les contours que rehaussent les jeux de la lumière.
Puis le canyon s’approfondit, se ramifie, prend plus d’ampleur, exposant de plus hautes falaises polies.
Par-delà le plateau qu’il tranche, d’autres reliefs plus doux encadrent en majesté une verte vallée, celle de Boulder, au loin vers le nord-est.
L'Escalante River, cette rivière qui serpente et creuse plus profondément le canyon à gauche donne son nom à toute la région. Elle se dirige vers la rivière Colorado à plus de 100 km en aval.
Les panneaux d’information mentionnent l’agrément de la verdure que procurent ici comme à Torrey les peupliers locaux (« cottonwood ») et les saules (« willow »), chaque fois que l’eau est présente.
La route épouse en très amples lacets une vallée aride, remonte une barre rocheuse usée.
Plus loin, les lacets se font plus nerveux dans un passage impressionnant de deux miles en étroite crête entre deux canyons précipices d’une sauvage splendeur à 1900 mètres d’altitude, à mi-chemin entre Boulder et Escalante.
La 12 chevauche en cascade plusieurs plissements, où la roche fait de fins mille-feuilles.
Puis, en superbes et vastes lacets, on franchit sans la voir la rivière Escalante.
Enfin elle serpente en longs lacets folâtres, comme dans une gigantesque fête foraine, pour dévaler au bout de quelques lignes droites vers le village d’Escalante, ses proprettes maisons espacées les unes des autres et des fermes à l'écart de la route.
Même si le plateau sur lequel se situe le village semble isolé, voire désolé, sans autre attrait qu’une certaine recherche dans l’agrément des maisons, du Post Office, il en émane un charme particulier, dépouillé, presque austère, un vrai village perdu à l’âpreté duquel on sent que le vent qui le balaie contribue sans obstacle.
En mars 1879, c'est de ce site, pas encore village, que démarre l'expédition nommée "Hole-in-the Rock Trail", qui devait aboutir de l'autre côté des canyons, à la fondation du village de Bluff.
Mais c'est bien à la rivière Escalante et ses innombrables méandres que le village et sa vallée doivent les immenses plateaux herbeux à pâturages.
Plus au sud, un relief plus chaotique semble fait de calcaire blanc, aux longues crêtes intactes.
On entre dans la région de la « Formation Kaiparowits », filon inépuisable de fossiles d’animaux dont l’inventaire est encore loin d’être achevé pour les paléontologues.
La Formation Kaiparowits
C’est une couche sédimentaire de 850 mètres d’épaisseur, formée entre 76,6 et 74,5 Ma au Crétacé Supérieur, constituée de grès provenant de dépôts de rivières, et de dépôts d’alluvions issus d’inondations des plaines.
Les panneaux d’information indiquent avec concision que ce site recèle une incroyable concentration de fossiles, qui résulte de la parfaite concordance de circonstances favorables : au Crétacé supérieur, la région est une plaine-marécage côtière luxuriante à l’ouest de l’une des îles-continents qui dans la tectonique des plaques formera l’Amérique du Nord (l’île « Laramidia »).
Sous un climat subtropical, la diversité, la quantité des animaux constituant la faune sont considérables.
Puis d’énormes masses de sable et de boue provenant d’abondantes rivières et de tempêtes côtières ensevelissent une partie de ces animaux essentiellement dans la couche supérieure de ces sédiments.
Les mouvements de plaque rehaussent enfin ces sédiments pour former le plateau actuel dont l’altitude avoisine les 2000 mètres.
On y découvre une grande variété de dinosaures en particulier, emprisonnés là environ 10 Ma avant leur extinction.
Ce sont ensuite Henrieville, un village qui tire parti de ruisseau Henrieville, ("Henrieville Creek") et quelques miles plus loin Cannonville et Tropic, que longe la "Paria River", trois villages perdus sur la 12 dont l'agriculture repose sur l'irrigation des prairies.
C'est à partir de là que commencent à apparaître, sur les flancs et à la crête des masses rocheuses, des concrétions géologiques remarquables et originales, qui deviennent de plus en plus fréquentes après avoir passé Tropic.
Ce sont de hautes colonnes étroites horizontalement striées, souvent isolées, mais parfois rassemblées comme un donjon médiéval en ruine, formant ailleurs une succession aléatoire de pyramides effilées.
Entre le ciel pur où jouent les nuages et les quelques pins verts et parfaitement droits qui poussent au pied de ces édifices naturels ou dans les défilés étroits qui les séparent, le spectacle est superbe et déjà envoûtant.
On sait qu’il préfigure ce qui nous attend bientôt à Bryce Canyon.
Puis quelques instants, un clin d’œil ; notre fascination biblique est détournée par un vif écureuil qui semble poser pour nous sur une branche.