Au Québec, bientôt
Ste-Rose du Nord
D'aval en amont, depuis son embouchure à la Baie Ste-Marguerite en direction du lac St-Jean, la rivière Ste-Marguerite déploie ses courts méandres dans une petite vallée à peine creuse, au pied d'un long plissement presque parallèle au Saguenay sur sa rive Nord et qui n'en est distant que de 7 à 9 km.
Longuement, la route 172 sous-tend au plus court le parcours de la rivière au milieu de grandes forêts d'épinettes et d'érables, traversant parfois des plateaux cultivés où se dressent les hauts silos pour le foin l'hiver(???) et de robustes et maigres céréales, peut-être du seigle ou du sarrasin.
Quelques arrêts nous permettent d'entendre le bruissement-grondement des eaux claires et pourtant invariablement bistre.
Ici elles s'écoulent sur un fond de pierres, qui parsèment toute la largeur et en font un tranquille torrent.
Ailleurs, la surface immobile d'un bief naturel confond dans son miroir parfait la forêt et son envers en une fusion de couleurs de lavis d'aquarelle. Rivière à saumon que révèlent quelques panneaux du bord de route.
La route elle-même est déserte à part quelques gros trucks affairés et furieux transportant à pleine allure des cargaisons de pitounes vers les scieries.
Après la confluence d'une autre petite rivière venant du nord-ouest, la rivière Ste-Marguerite devient plus encore méandreuse en amont. Encore unies, la route et la rivière se rapprochent du fjord depuis ses hauteurs.
Puis la route se détache et s'infléchit vers le sud-ouest, et quitte la rivière pour longer d'abord le vaste lac Résimond, discrètement aménagé pour des loisirs cossus.
Un modeste carrefour et nous dévalons à gauche une petite route vers le joli village de Ste-Rose du Nord, qui s'auto-promeut "perle du fjord", rien de moins, mais un qualificatif tout à fait mérité.
La route traverse des pentes d'herbages épais, beaux comme des alpages où effectivement quelques vaches paissent, et débouche tout en bas sur quelques coquettes maisons encore vénérables pour certaines d'entre elles, un très charmant hameau au bord d'une baie de la vaste rivière.
L'appareil photo se révèle pourtant incapable de rendre la ronde et pittoresque beauté du village ; ou bien plutôt est-ce l'incapacité du photographe.
Le puissant quai et sa trop sévère et moderne jetée sur l'eau où peuvent accoster des bateaux de croisière dénaturent un peu ce charme désuet, mais font le bonheur d'un vieux pêcheur équipé comme un pro, et accueillent une rutilante Harley Davidson, à eux deux les seuls véritables personnages en ce tranquille après-midi où le village semble endormi.
Puis, remontant prendre la 172, nouvelle petite pause pour apprécier le calme du lac Bouchard, dont les rives sont mieux encore aménagées que celles du lac Résimond.
et puis voici le grand Saguenay et Alma
Le centre de la ville de Chicoutimi nous fait face ; elle s'étale pourtant sur les deux rives. La pente de la rive sud, moins abrupte qu'au nord est le lieu privilégié de développements urbains plus ou moins réussis, au milieu desquels se dressent les clochers de la cathédrale et d'autres églises.
On y parvient en franchissant le pont Dubuc accessible depuis la rive nord par une pente forte qui bascule brutalement vers le fleuve.
En direction d'Alma à l'ouest, depuis la route sud la falaise nord du Saguenay impressionne par ses dimensions et les constructions cossues qui semblent braver le vide.
Plus loin sur la gauche, on aperçoit les alignements immenses surmontés de hautes cheminées bien alignées, c'est Arvida, énorme complexe industriel de production d'aluminium qui fut le plus important du monde dans les années 1970, maintenant rattaché à Jonquière.
L'empreinte des grands capitaines d'industrie des années 1930 a marqué la région, jusqu'au nom d'Arvida, pas du tout d'origine amérindienne comme le sont souvent les toponymes dans la région, mais reprenant les premières lettres du nom du président de la société ALCOA d'alors, l'américain Arthur Vining Davis, dont on salue le trop modeste ego. Et puis quel meilleur moyen de passer à la postérité, plutôt que de compter sur celle qu'on a soi-même engendrée!!
Alma, assez riante ville, est la capitale locale à proximité du lac St-Jean.
Puis la 172 déboule la pente qui semble tomber dans le Saguenay, pour emprunter un parcours en courbe au milieu du comblement de sables, de graviers, de roseaux et de marais alimentés par les marées d'une autre baie de la grande rivière. Milieu très propice aux oiseaux, et protégé en "refuge faunique" comme il y en a bien d'autres dans la Belle Province.
Voici St-Fulgence, dans lequel nous n'entrons pas. On dit que c'est ici qu'aboutissent dans leur dernier effort les eaux salées remontant des marées depuis le Saint-Laurent, pour se mêler aux eaux douces du Saguenay descendant du lac St-Jean.
Petite pause proche de la rive ; nous sommes au Nord de l'agglomération de Saguenay. Dans cette zone déjà assez urbanisée, voici une voiture vintage (reproduction moderne d'un modèle ancien ou voiture d'origine parfaitement entretenue?) de couleur safran, presqu'en harmonie avec les premiers flamboiements d'érable.
Mais auparavant, on se sera permis un bien agréable petit écart près de Larouche où une piste poussiéreuse empruntée par des camions de travaux nous conduit après quelques vagues de relief et d'agréables errements, au bord d'un petit lac au calme parfait, ou bien est-ce l'un des rivages compliqués du lac Kenogami où la terre et l'eau s'enchevêtrent, au gré des reliefs du horst?.
Nous osons franchir quelques pas sur des passages ouverts mais néanmoins privés, sans âme qui vive ou presque, pour savourer le soleil qui inonde la surface argentée du lac.
Sur ses rives, de confortables aménagements, gazon tondu, matelas de plage, passages sur pierres clairsemées, coquets pontons de bois, expriment le goût pour la qualité de l'été indien qui vient.
Et qui se manifeste déjà par la fête des couleurs des érables. Hors d'oeuvre seulement, dont le feu d'artifice n'interviendra qu'après notre départ de la Belle province. Début d'enchantement.
Même cette variété d'écureuils à pelage ras et rayé prend la pose sur un tronc, puis disparaît vivement : probablement un "chipmunk" pour les anglophones, et ici un "suisse" ou "petit suisse" à cause de sa robe rayée comme celle des gardes suisses du Vatican.
Pendant qu'un habitant fait ronronner sans fin, comme pour s'assurer de la sûreté de son fonctionnement, le moteur de sa fringante Harley Davidson, immobile sur son pied.
Et que des nuages ronds jouent au blanc d'oeuf fouetté, et monté en meringue au-dessus d'épinettes.
Alma, presqu'au bord du lac St-Jean, a organisé avec soin la reconstitution de son édification avec des panneaux portant le titre unique de "la Gazette des bâtisseurs" en vis à vis de ses monuments principaux. Ils racontent son histoire avec un souci pédagogique bienvenu, la saveur des anecdotes locales qui fleurent les prénoms anciens, et bien teintée d'une candeur assumée. Tout cela se visite au long d'un parcours établi et bien balisé.
Où l'on voit à quel point dans la Belle Province, le passé est précieux, toujours à la recherche de l'identité dans l'épaisseur d'une histoire qui est encore ténue (l'ancrage des populations locales n'est pas plus ancien que de 170 à 200 ans).
Il en est ainsi par exemple pour sa puissante église St-Joseph d'Alma au clocher central fièrement dressé, dont la 1ère chapelle est construite en 1875, sur la Place de la Fabrique, autour de laquelle le village croît. Ce qui conduit le 2ème curé de la paroisse, Héraclite Lavois à demander la construction de l'église actuelle, érigée entre 1906 et 1908, faite du granit noir des villages probablement voisins de St-Gédéon et de St-Nazaire.
Puis agrandie en 1924 et dotée de vitraux datant de 1950 ; de même sont nommées les 3 cloches Jésus, Marie, Joseph. Son presbytère tout du même granit est construit en 1901.
La Fabrique [de paroisse], notion régie par une loi de 1966, est une personne morale formée du curé et de marguilliers choisis parmi les paroissiens, avec pour "raison d'être" l'exercice de la religion catholique dans la paroisse. En gros, c'est une association à caractère religieux qui gère les biens et immeubles, le cimetière, les dons reçus, selon une éthique claire (?).
Cette notion est contemporaine de l'après-colonisation, donc bien antérieure à la loi qui semble n'exister sur ce sujet qu'à partir de 1966.
La photo à gauche montre la rue centrale prise entre 1920 et 1933, où le seul trait d'union avec le présent est le panneau publicitaire Coca Cola,... et accessoirement la façade de l'église.
Alma a participé à l'aventure de la pâte à papier (avec Price) et à l'essor de l'aluminerie (avec Alcan), elle qui est traversée par deux rivières provenant du lac, la Grande Décharge et la Petite Décharge ; on ne parle pas ici de dépotoir comme sont nommées chez nous les décharges sauvages ou publiques, mais de décharge au sens de lâcher d'eau, qui peut peut-être prendre le caractère brutal d'une décharge de fusil quand s'accumulent les eaux au dégel.
Au Québec, Dam-en-Terre, au bord de lac St-Jean
Le logement est un "condo" (pour "condominium") pas très récent, mais un appartement complet, fonctionnel à l'américaine, où l'on se perd presque à deux, équipé, encore moderne, confortable dans un immeuble de bois de 2 étages. Ce que dans le contexte touristique, on pourrait nommer un (très) vaste "appart'hôtel" en France.
Les machines très complètes (à laver le linge, la vaisselle, à sécher, le four et la plaque de 4 feux électriques, bien sûr le réfrigérateur) sont à dimension nord-américaine, impossible à placer dans les recoins étriqués ; merci à l'espace disponible, qui est LA constante ici, dans tous les domaines.
Peinant à trouver un supermarché, - ils sont pourtant nombreux partout -, nous finissons par être renseignés par un groupe de 3 dames en voiture, la mère et ses deux filles, qui nous proposent spontanément de nous guider avec leur voiture jusqu'au parking d'un magasin. Comme savent le faire généreusement les québécois ; là, il s'agissait manifestement d'amérindiennes, un peu méfiantes au début et restées très discrètes et réservées.
Enfin nous atteignons notre 3ème étape, au Centre de villégiature de Dam-en-Terre, dont le nom mêle curieusement l'anglo-saxon et le français : "dam" pour barrage, ici peut-être de terre, même si nous en avons vu surtout de béton.
Au point qu'il y a 50 ans, étudiant à Laval, à chaque retour dans l'hexagone, tout me paraissait étriqué.
Sur ce plan rien n'a changé, au contraire même : le pays ici reste vaste et semi-vide.
Ainsi la région Saguenay lac St-Jean, en pratique celle du bassin hydrographique du Saguenay, avec ses 96 000 km², est plus grande que notre plus grande région, la Nouvelle Aquitaine (84 000 km²) ; mais elle n'héberge que 280 000 habitants contre 5 900 000 habitants pour la Nlle Aquitaine (3 ha/km² pour l'une, 70 pour l'autre).
Notre hexagone se remplit comme un oeuf qui ne fera bientôt plus de nos campagnes qu'une sorte de musée naturel et de nos villes tentaculaires des mégapoles de plus en plus débordantes et phagocytantes.
Une tonique petite marche sur la piste cyclable qui franchit deux barrages (joliment nommée "Véloroute des Bleuets"), dans un silence presque total, permet d'apercevoir la puissance des travaux de barrage, les vallées aval bien régulées où ne coule qu'un fond de torrent, et les protections de boudins flottants, probablement pour éviter la pollution des eaux au droit amont du barrage.
L'écarlate érable explose déjà un peu ici et là, et un écureuil discret nous fait une brève visite, près de quelques aménagements d'agrément, comme des bancs de repos, d'où on aperçoit de belles maisons sur les îlots.
Au bord du vaste lac formé par les divers barrages qui harnachent les rivières (bel usage québécois du vieux mot français) - construits récemment par Alcan Rio Tinto, mais aussi dès 1925 pour le plus vaste, celui de la Centrale "Île Maligne"- et ses îlots multiples, et avec le vent déjà frais qui plisse la surface, la saison tournepasse ; mais le site et ses équipements laissent deviner tout son intérêt pendant la saison d'été.
Ses eaux alimentées par le lac St-Jean sur le parcours submergé de la Grande Décharge permettent au bateau "La Tournée", déjà en cale sèche à notre arrivée, de petites croisières sur le lac. Même la déjà fameuse salle de congrès et de spectacles de Dam-en-Terre est fermée.
Cependant les premiers travaux de harnachement réalisés ici au compte totalement privé d'entreprises à but très lucratif ont fait quelques victimes : dans les deux ans après la mise en eau du barrage de l'Île Maligne en juin 1926 (donc le temps que se remplisse cette énorme retenue), 3200 ha de terres arables sont inondées dans les diverses paroisses du bord du lac, et 800 propriétaires sont spoliés de manière totalement imprévue, jusqu'à être privés de leurs terres cultivables et de leurs réserves d'eau potable. Le printemps 1928 très pluvieux aggrave encore la situation. C'est "la tragédie du lac St-Jean" dont les victimes n'obtinrent jamais réparation.
Intraitable dynastie des Price dont William est l'un des piliers ci-contre.
Au Québec, nostalgies à Chicoutimi,
et demain à La Baie
Il y a 50 ans, sans y être allé physiquement, je connaissais Chicoutimi, beaucoup moins le Saguenay.
On sait ce qu'est devenue la grande agglomération du Saguenay depuis 2002, englobant Chicoutimi, Jonquière, Port Alfred, etc...
Avec un très bon ami des temps de jeunesse qui réside à Chicoutimi, à peine changé et que je n'ai pourtant pas revu depuis tout ce temps, c'est avec très grand plaisir que nous visitons cette ville, son immense cathédrale, les stigmates du grand déluge de 1996.
En effet, face à l'édifice religieux, cette "Petite Maison Blanche" au toit à versants retroussés semble en construction et laisse à cru ses hautes fondations.
De fait, construite par Elzear Gagnon en 1900, elle est la seule du quartier à avoir résisté au "grand déluge du Saguenay" de juillet 1996, après débordement du barrage juste au-dessus, qui pendant 4 jours emporte ou détruit bien d'autres habitations après d'exceptionnelles pluies torrentielles.
Pourquoi ne pas en faire un miracle? Elle est maintenant aménagée en musée.
La Baie
Baie des Ha!Ha!
A quelques km à l'Est, le port avancé de La Baie est aménagé pour recevoir les croisiéristes et l'accueil des paquebots depuis 2008 ; il y a on ne sait quoi de scandinave par l'architecture moderne de son port qui rappelle celui d'Oslo.
L'image vidéo d'une webcam offre 24h/24 le panorama du port en temps réel. Et voici ce qu'elle montre par exemple le 22 décembre 2016 ci-dessous.
Au bout du large et profond (11 km) ruban de la Baie des Ha!Ha!, ce site se prêtait naturellement à devenir un lieu privilégié pour les bateaux industriels à grand tirant d'eau et maintenant les grands bateaux de croisière.
On l'appelait auparavant Grande Anse ou Grande Baie. Son nom actuel, qui semble inciter à la franche rigolade, relève plutôt de l'algonquin et signifie "lieu où on échange" depuis la nuit des temps amérindiens, bien avant l'arrivée des européens.
Après l'implantation de scieries dès l'installation de la "Société des 21" en 1858, et celle de la voie ferrée ici en 1910, Dubuc (celui du pont) implante en 1918 une usine chimique de pâte à papier et dans la foulée fonde le village de Port Alfred en léger retrait du fond de la baie.
Puis Alcan rachète le site qui a périclité pour transformer en 1926 les installations portuaires et en faire l'accès majeur de la bauxite importée pour les usines d'aluminerie à l'Ouest.
L'agglomération fédératrice de La Baie est quant à elle créée en 1976. Elle est particulièrement touchée par le "déluge du Saguenay" de 1996.
L'hiver gèle le fleuve (voir ci-dessous) mais un bateau brise-glace maintient un chenal d'accès pour les navires de bauxite.
Puis sur la glace épaisse de presque 1 m dit-on s'installent les maisons de bois sur la glace, qui finissent par faire comme un village où l'on vient pêcher les poissons à travers l'épaisseur dans laquelle on perce des trous. C'est "la pêche blanche" qu'il y a 50 ans je croyais que l'on nommait "la pêche aux petits poissons des chenaux".
22 décembre 2016 à 8h 04
18 février 2017 vers 12h