PRAGUE,
Façades art nouveau,
Beautés extravagantes
L’Art Nouveau à Prague n’a pas l'arrogance monochrome, altière et presque triste des façades haussmanniennes parisiennes (qui ne pourraient rivaliser que par la sophistication et l'exubérance des sculptures de façade, les jours où le soleil les frappe).
Prague, chatoiement des façades Art Nouveau...
Avec une élégance et une légèreté remarquables, une minutie dans le détail et l'harmonie de la polychromie, il est ici décliné en donnant libre cours à l'inventivité.
On le retrouve dans tous les quartiers du grand périmètre historique.
Pourtant, il semble qu'il ne s'agit que d'un habillage... de façade ; quelques travaux rencontrés ou de rares immeubles moins entretenus laissent en effet apparaître dans les brèches les murs de briques sous le crépit ou la pierre décorative.
Prague, inspirations baroques pour l'Art Nouveau
Mais ne boudons pas notre plaisir.
Par exemple quand les façades s'inspirent avec talent du baroque, ou peut-être du rococo pragois, notamment quand on se rapproche de la Vielle Ville.
L'idée qu'on peut se faire de l'Art Nouveau dans sa pureté préraphaélique, son symbolisme lisse et tout en courbes, sa parfaite sérénité, trouve aussi son expression dans quelques autres façades.
Prague, autres exubérances...
de l'Art Nouveau
L'Art Nouveau se traduit pourtant aussi, presque à l'opposé, par des exubérances assez modernistes, presque tropicales, comme certains hôtels dans la Vieille Ville, ou une sorte de palais à sombre façade soulignée de liserés dorés dans Josefov.
Prague, les fastes Art Nouveau sont aussi
dans la Maison Municipale
Le "temple" de l'Art Nouveau pragois semble être la "Maison Municipale", dans la Vieille Ville à la limite de la Ville Nouvelle ; au point que, depuis 2018, ce bâtiment remarquable abrite les fresques historiques de l'un des plus fameux fondateurs de cet art, enfant de Prague, Alphonse Mucha.
Les architectes de certaines grandes villes osent parfois des ruptures entre ancien et moderne ; s'ils ont du talent, les contrastes peuvent être harmonieux et parfaitement réussis. Exemple, la pyramide de verre au milieu du musée du Louvre à Paris.
Ici, à deux pas de la Maison Municipale, à côté d'un petit marché où se vendent quelques spécialités, trône une énorme structure métallique squelettique, une sorte de double noeud végétal monstrueux, tout d'échardes et de décrochés agressifs. Le résultat est absolument désagréable, comme une méchante pensée qui voudrait rageusement s'immiscer dans un cerveau serein. Ou un colossal Giacometti complètement loupé...
Alors, adieu la perspective.
La Maison Municipale (construite de 1905 à 1912) jouxte la fameuse et sombre Tour poudrière, du plus pur style gothique.
D'abord construite en 1455, elle devient dépôt de poudre, d'où son nom, au 17ème siècle, est détruite au 18ème, puis reconstruite en 1876 en style néo-gothique.
Par son haut tympan décoré surplombant une vaste marquise, la Maison Municipale ne manque pas de rappeler avec brio ses cousins parisiens, et notamment le Petit Palais.
Voyons ce qu'elle recèle de témoignages de raffinement de décoration, outre l'une des grandes salles de concert de la ville, la salle Smetana.
Hall d'accueil
une fresque historique de Mucha
et une autre
Prague : Art Nouveau vers Art Déco??
... ouis, mais pas trop
Et parfois, cet Art Nouveau qui est l’une des identités marquantes de la ville semble, pour l’ignorant visiteur, se mâtiner d’Art Déco, ou ailleurs comme ici à la Maison Municipale explose en marquises, en stuc, en revêtements or et carmin de toute magnificence, qui ne sont pas sans rappeler d'autres réalisations parmi les plus belles de l'Art Déco. Déjà, les formes se stylisent, se géométrisent, deviennent plus symétriques.
D'autres fois même, la revendication Art Déco est totalement assumée, comme pour la Grande Bibliothèque de Prague, dans la Vieille Ville.
poignée d'une porte de la Maison Municipale
un plafond Art Nouveau de la Maison Municipale, aux dessins déjà bien géométrisés
une fontaine dans la Maison Municipale, belles symétries et simplicité des lignes
un motif de façade plutôt Art Déco
Vielle Ville : motif de façade au symbolisme stylisé, qui semble déjà Art Déco
Grande Bibliothèque de Prague, cette fois purement Art Déco
Prague... enfin la splendeur
des sgraffites
Mais les façades de Prague peuvent être aussi une autre sorte de fête, séduisante et conteuse d'histoire(s), avec les "sgraffites", - le mot venu tout droit d'Italie (griffer, gratter) s'est décliné en français en dévoyant son sens, en graffitis-.
Aux origines, à la Renaissance, la technique consistait à appliquer sur une paroi lisse au moins deux couches de plâtre ou de mortier mais de couleurs différentes (par exemple le noir et le blanc).
Ensuite, en grattant de manière organisée et ordonnée les couches superposées, on crée des images par contraste des couleurs.
Dès le 16ème siècle, dans une bonne partie de l'Europe, cet art connaît un grand succès, mais se décline de manière originale en Bohême.
Elle a été reprise à Prague au 19ème lors du déploiement des immeubles Art Nouveau, notamment pour illustrer la remontée du sentiment patriotique tchèque.
Un feu d'atifice, qui nécessite de lever les yeux ; cette technique privilégie en effet les parois de façade situées sous les toits qui les surplombent, et les enveloppent de leur ombre, ou en tout cas la partie haute de celles-ci.
Sur les façades, les sgraffites viennent sobrement relever le style Art Nouveau, ou les illustrent sur leur majeure partie, ou bien ailleurs encore en sont le thème majeur.
Le résultat est souvent fascinant.