Sud-ouest Sri Lanka,
Hikkaduwa, agréments et transports
Qu'il s'agisse de la vie quotidienne, des coutumes, de la beauté de la faune ou de l'agrément de la côte, quand enfin on dispose d'un peu de temps vrai, non contraint par les horaires de visite imposés, rien ne vaut un peu de marche à pied.
Si possible à l'ombre, étroite encore dans nos heures de visite autour du milieu de journée, en acceptant sans broncher de transpirer.
Bien sûr, il faut d'abord se rendre à l'endroit que nous avons choisi de parcourir seuls. Alors quoi de mieux que les transports locaux.
Nous avons déjà goûté au train ; nous avons "subi" la voiture pour quelques visites.
Il restait à se laisser aller au tuk tuk, et de tenter le bus, à Hikkaduwa et dans sa périphérie immédiate.
Sri Lanka, les tuk tuks en essaim, comme des moucherons
Après le train qui ferraille lentement, et la voiture avec guide chauffeur (parfois les deux quand le premier ne conduit pas), nous avons testé les fameux tuk tuks, aussi appelé "bajaj" -du nom d'une marque- ou en anglais auto-rickshaw.
Leur multitude est un essaim vrombissant.
La manière dont ils se faufilent, doublent, surdoublent même, leur virtuosité à s'insérer, s'effacer dans les voies, tout concourt à entretenir une prudente méfiance à leur égard, s'il fallait les utiliser.
Or le chemin qui mène au temple remarquable de Galagoda, celui du grand bouddha couché au-dessus du village côtier d'Ambalangoda ne peut se faire qu'à pied, à vélo, ou... par tuk tuk.
Le sort en était jeté.
Assis derrière le chauffeur, à tout vent sous paravent, l'impression est toute autre.
Dans la pratique, ces tricycles au moteur bruyant (et pour cause, c'est un moteur deux temps) dont l'avant ressemble à celui d'un scooter, sont assez remarquables par leur stabilité, leur agilité pour se glisser même dans les pistes et les chemins tortueux, leur grande maniabilité.
Leur modeste dimension permet de se faufiler, de se garer dans les recoins même les plus saugrenus. Ils sont partout.
L'absence de portes latérales permet à la "clim locale" d'opérer, mais un pare brise avant protège chauffeur et passagers.
Le prix d'usage est à la hauteur de ces qualités : quelques centaines de roupies pour quelques kilomètres. Une somme très raisonnable pour notre monnaie occidentale, mais au moins 10 à 30 fois plus cher qu'un parcours en bus local pour la même distance. Sans avoir fait l'effort de négocier, nous avons dû payer plus qu'il ne faut...
En 2016, on comptait à peu près un tuk tuk pour 20 habitants au Sri Lanka, c'est à dire environ 1 million de tuk tuks.
De fait, le parc des tuk tuks est venu combler le vide laissé par la carence des autres moyens de transport, train et bus dans les jonctions entre les routes secondaires et les voies principales.
Ils sont de marques Bajaj, Piaggio et TVS essentiellement distribués par trois grandes entreprises.
Par le passé, ils étaient importés directement ; aujourd'hui, ils sont assemblés au Sri Lanka à partir de pièces fabriquées en Inde.
Mais du point de vue économique, le marché des tuk tuks est une anomalie : leur très forte augmentation en quelque 20 ou 30 ans n'a pas réduit les coûts d'usage.
Et si maintenant les tuk tuks de Colombo et sa banlieue sont équipés de compteurs, ce n'est pas du tout le cas pour le reste de l'île. Sans pour autant que les contrôles de police garantissent au consommateur que les prix soient corrects, même avec taximètre.
C'est aussi par ce moyen somme toute tranquille, en tout cas par la vitesse, beaucoup moins par les conditions de circulation au milieu du trafic, qu'on a l'occasion d'apercevoir une variété d'écureuil rayé, courant sur un fil téléphonique.
Son nom "savant" est "Funambulus palmarum", qu'on peut traduire approximativement par "funambule palmé".
Pouvait-on rêver d'une illustration aussi exacte du nom de cet écureuil?
Les mêmes parcourent la pelouse de notre hôtel entre les chaises longues, chapardent des miettes, tentent même de siroter un jus de fruit dans un verre abandonné.
Propre à l'Inde et au Sri Lanka, il a été introduit par inadvertance en Australie, et a tant proliféré, à l'instar du lapin, qu'il a fallu là-bas en réguler la population.
Dans de nombreux villages ou carrefours de villes plus importantes, il existe une variété originale de tuk tuk, qu'on repère d'abord par le son qu'il émet.
C'est le "tuk tuk baker", équipé d'un plateau de vente à la place de la banquette passagers. Le tuk tuk "boulanger" vend en effet dans la rue toutes sortes de produits s'apparentant à des gâteaux ou des petits pains locaux.
La musique stridente qu'il émet en boucle avec un petit haut-parleur de médiocre qualité est reconnaissable entre mille, surtout à l'oreille d'un occidental : c'est "la lettre à Elise" de Beethoven, en tout cas la mélodie ultra connue qui devient ici une scie sans fin, lancinante, qui n'a rien d'une scie musicale.
Les cinghalais connaissent donc Beethoven sans le savoir, peut-être. Qui d'ailleurs peut dire d'où vient ce choix?
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... et les bus "fast and furious"
Pour les lignes privées, les bus ont l'habitude d'attendre d'être pleins avant de quitter leur station de base.
En tout cas, voici que nous en prenons un pour aller de Hikkaduwa à Ambalangoda à quelque 15 km au nord. Cette fois pour à peine 30 roupies.
A ce propos, quelques consignes :
1- embarquer et débarquer très vite en s'agrippant à tout ce que l'on peut ; on a vu un bus ralentir sans s'arrêter pour prendre un passager, heureusement habitué
2- trouver immédiatement, après avoir grimpé trois marche, une place assise et s'y tenir ; les coups de frein, les accélérations, les courbes ne se prêtent pas au relâchement
3- attendre que le préposé aux billets, lui très agile, vienne vers vous ; et pas l'inverse, pendant que le chauffeur conduit.
A peine donc le temps de contempler la belle côte toute d'horizon turquoise, ses tranquilles rouleaux où se mouillent quelques pêcheurs au-delà du sable doré. Mais aussi le petit temple blanc sur son îlot..
Malchance! Il a fallu que dans notre très court périple qui traverse les villages côtiers, notre bus soit repéré et arrêté pour infraction par la police locale ; quelques secondes ont suffi aux policiers pour faire le constat (la question est plutôt "quand le chauffeur respecte-t-il le Code de la route local?"), et quelques minutes pour sanctionner.
La paix du temple que nous visiterons sera bienfaitrice et régénératrice.
La rage du chauffeur trouvera illustration par contre dans certains masques furieux et menaçants du "musée des masques" d'Ambalangoda.
Le retour, toujours en bus sera moins tendu.
Il nous restait à expérimenter l'usage des bus locaux, que j'appelle ailleurs les "bus tueurs" tellement leur conduite dans le trafic, la vitesse, la manière de s'imposer dans les croisements, les doublements, les coups de klaxon et les appels de phare relèvent plus de la lutte ou du combat sur route que du Code du même nom.
Quelle que soit la couleur ou la compagnie, ils sont tous de la même forme, pans plats verticaux à l'avant et à l'arrière, un parallélépipède d'acier, dont le seul galbe est celui du toit, et quatre pneus puissants. Enfin un klaxon façon corne de brume couinante.
La couleur rouge est réservée à la ligne publique gouvernementale.
Ils semblent tous porter la même marque de fabrication "Lanka Ashok Leyland", un grand constructeur indien, qui a reçu plusieurs récompenses pour la qualité de ses fabrications.
On peut en tout cas témoigner de leur robustesse.
Dès lors, enragé et ivre de vengeance (là c'est l'imagination inquiète du passager), mais surtout pressé de rattraper son retard, voilà notre chauffeur qui fonce plus encore, cette fois vraiment dans le mode "fast and furious", qui double et sinue, oscillant littéralement sur deux roues, tous pneus crissants... une secouante et effrayante attraction de Foire du Trône improvisée.
Une seule hâte, celle de parvenir à la gare routière d'Ambalangoda, de bondir... avec précaution, hors de l'engin qui s'éloigne déjà. Ouf!
On imagine que parmi les nombreuses décorations à l'intérieur, il y a des ex-voto (pour ceux qui en ont réchappé) et d'efficaces prières au bouddha.
Par contre, on ne parvient pas à concevoir à quel point doivent être inconscients et blasés tous ceux qui vont par exemple de Galle à Colombo, parmi la population. Habitués presque impassibles, à peine suant dans l'air marin qui traverse l'engin, au moins tant qu'il se meut : les portières restent ouvertes, et les conseils internationaux dissuadent les touristes de l'utiliser pour les enfants de moins de 8 ans.
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quelques agréments du bord de mer à Hikkaduwa
Parmi les hauts-fonds qui forment une plateforme d'anciens récifs de corail sous l'élégant dais de cocotiers penchés, la mer laisse en se retirant de nombreuses flaques, des mini-piscines naturelles.
On peut y voir quelques poissons colorés retenus, des étoiles de mer aux longs bras effilés, des crabes coureurs latéraux véloces, ...
... mais aussi d'anciennes formes fossiles imprimées dans le récif plat,
et des figures géométriques reptiliennes laissées par un poisson en creux sur le sable, comme des crypto-signaux d'une civilisation à branchies.
Le long d'une basse barre rocheuse perpendiculaire à la rive, on peut côtoyer de vrais bancs de poissons argentés et tomber nez à nez avec la masse sombre de deux "tortues de courtoisie".
Sédentaires ici, les touristes les nourrissent avec des algues que leur tend un accompagnateur.
Le sable est ici presque roux, fin sous une eau dont la température ne descend jamais sous 27°C.
Quelques rochers à 200 mètres délimitent le récif corallien, que nous n'aurons pas l'opportunité d'aller voir dans ces barques de pêcheurs étroites munies d'un balancier, et moins encore la faune sous-marine réputée ici dans cette eau d'un bleu d'encre.
Le roi Detugemunu
Il reste le lent et régulier basculement des rouleaux phosphorescents, sous le net horizon de l'océan de légende qui se charge de nuages.
Un varan fouisseur, ultime invité de l'hôtel, déambule de sa démarche chaloupée et recherche les insectes ou les vers sous la racine des arbres, pendant que des vols d'une variété de corbeaux au fort bec noir coassent sans fin.
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paisibles arrières de Hikkaduwa
Loin de la fréquentation jeune et occidentale, et donc forcément bruyante décrite par le Routard, hors de la voie centrale du trafic qui traverse Hikkaduwa, ce sont de paisibles rues qui montent sur les petites pentes à l'opposé de la mer, à l'arrière de la voie ferrée.
Délimitées par une abondante et épaisse végétation, elles se faufilent et longent de belles maisons ombragées aux teintes soutenues dont les auvents se parent parfois de fins lambrequins, embellies d'hibiscus sous de hauts palmiers, des jaquiers, des ficus, des arbres à pain aux feuilles comme des mains démesurées, des buissons foisonnants de bougainvillées.
Puis, de retour sur la voie principale, un groupe de quelques femmes en saris défile avec des pancartes, scandant des slogans en faveur ou contre on ne saura pas quoi.
Sur la terre battue qui ouvre sur l'une d'entre elles, une femme au généreux sourire fait sécher au soleil sur un drap des piments très rouges.
Pour un peu, l'odeur persistante qui se dégage piquerait les yeux.
Il y a dans l'air incandescent une tranquillité que seul le roulement métallique du train qui passe vient perturber.
Dans une rivière qui n'est ici qu'un large ruisseau à l'eau trouble et peu engageante se mirent avec une grâce narcissique des feuilles de palmiers. On a le miroir que l'on peut.
Deux autres jeunes femmes viennent en sari et promènent leur port altier.
D'autres sous une ombrelle vont et devisent.
Au côté des bus, des tuk tuks, des camions et des voitures, s'insèrent un tracteur triporteur chargé de tiges de cannelle, des cyclistes sur des vélos éreintés dont l'un d'eux vend des tickets de tombola peut-être, des motos dont les passagers portent toujours un casque.
Dans un recoin à l'ombre, un habitué assis parcourt son quotidien favori sous une moderne oeuvre d'art qui décore un magain.
Pendant que d'autres familles vêtues de blanc s'acheminent avec leurs fleurs de lotus et d'autres offrandes vers un temple voisin.
Il va pourtant bientôt falloir s'arracher à ce charme, à ce qui plutôt qu'une féerie, est un splendide envoûtement, celui de cette belle île qu'avec déjà un peu de nostalgie, on préfère encore nommer Ceylan.
Et retrouver nos latitudes, après avoir survolé, en guise de rafraîchissante transition quelques sommets des Alpes, quelque part au-dessus de l'Italie du nord, de la Suisse ou de l'Autriche.