Sud Thaïlande
3- Un immense lac de petite montagne,
artifice, avatar et... hydro-éléctricité royale
En allant vers le lac Ratchaprapha,
... mais sait-on d'où il vient?
Nous retrouvons cette fois, après un long parcours en bus, tout au nord de la Province de Surat Thani, une région constituée de montagnes de faible altitude, entre 300 et 1200 mètres.
Dans le parc national de Khao Sok (les monts Sok) se niche l'immense lac de retenue d'eau nommé lac Ratchaprapha, qu'on appelle aussi le lac Cheow Lan. Le plan d'eau est à une altitude d'environ 90 mètres et le relief du parc culmine à 980 mètres. Ce relief accentue l'effet de la Mousson ; il y tombe alors de fortes pluies : 1,6 m/an.
Genèse du réservoir
Rajjaprabha signifie "lumière du royaume" et doit son nom à la cérémonie d'inauguration de mai 1987 par le roi pour son 60ème anniversaire. Jusque-là, le projet se nommait "Cheow Lan Project".
L'Autorité de production d'électricité thaïlandaise commence en 1982 à détourner la rivière Khlong Saeng (khlong = cours d'eau, canal), qui vient du nord nord-ouest, et à construire le barrage au sud-est de la zone.
La capacité de production d'électricité sera de 350 GWatts.
La mise en eau du basin de 185 km² dure un an. Les 385 familles du village submergé de Ban Chiew Lan sont relogées et obtiennent des aides et des formations pour leur reconversion dans l'élevage de volaille ou de poisson, la culture de vergers, de légumes.
Chacune reçoit de l'ordre de 3 ha pour la plantation d'hévéas et environ 200 m² pour l'habitation, ainsi qu'une somme de 1000 bahts/mois et par famille. Le gouvernement crée en outre les infrastructures publiques, écoles, distribution d'eau, service de santé, station de police, mairie...
Cette transformation s'accompagne du déplacement de la faune sur les nouvelles îles créées par les travaux : en 18 mois, 1364 animaux de 116 espèces différentes (tigres?, éléphants, singes, papillons, serpents, araignées...) sont secourus, mais 44 meurent rapidement ensuite et de nombreux poissons périssent du fait que l'eau est maintenant stagnante.
Saeng
Le barrage
est par là
Même là, avant d'accèder au lac, en retrait par rapport à la route se dressent et émergent des falaises et des monts fantomatiques en pain de sucre, karstiques comme il se doit, dont le relief dans une brume du matin évoque les fameuses estampes chinoises ou japonaises.
Depuis la route, les fils téléphoniques forment une nappe ordonnée qui barre un peu le paysage sans qu'on n'y puisse rien.
Une fois franchie une sorte de porte monumentale qui affiche l'effigie du roi actuel, qui n'est autre que l'entrée du Parc, nous voici un peu après juste à l'est du barrage. Là est un point de départ habituel des mini-croisières sur le lac.
En avant sur le lac Ratchaprapha,
petite mer intérieure
Embarqués dans un bateau rapide sur les eaux du lac, nous slalomons entre les îles qui ne sont que la calotte supérieure de petits sommets anciens, dont les rives un peu érodées se teintent d'ocre clair ou de rouille, coiffée de l'épaisse touffe tropicale.
Mais ici, en dehors de l'érosion de ruissellement qui rend dangereuse la visite en certaines périodes, les rives, les falaises ne sont marquées de manière absolument semblable que de la différence entre le plus élevé des niveaux du lac et le niveau actuel.
Cette fois, le bateau est un vaste longtail boat, bruyant et pétaradant, qui suit ou croise quelques-uns de ses semblables chargés des mêmes touristes éberlués.
Panoramas souvent somptueux.
L'arrière-plan des hautes falaises crée des profils montagneux escarpés, vertigineux, des successions accidentées d'éperons verticaux à la tête émoussée, des petites chaînes de montagnes au relief acéré, encore jeune, qui semblent parfois des monts d'enfer, défi impassible aux éléments, pourtant ici dotés de puissantes capacités d'érosion.
L'exubérante végétation tropicale borde les rives basses de forêts princières, épaisses, impénétrables.
De temps en temps émergent quelques troncs décharnés, vestiges tenaces des forêts submergées.
La couleur de cette petite mer intérieure prend des tonalités changeantes qui passent du bleu.. de mer au vert émeraude, sans devenir jamais turquoise. Ni avoir cette transparence magique des récifs coralliens.
Parfois, au fond d'une baie, minuscules témoignages d'une présence touristique appréciant le confort, quelques hébergements au pied de pentes foisonnantes et démesurées, ou un trop impeccable alignement de mini bungalows sur ponton flottant.
Îlots, falaises et marche moite
La haute barrière dentelée se prendrait volontiers pour la paroi intérieure d'un grand cratère de volcan ; mais on sait bien qu'il n'en est rien.
Dans le dédale des promontoires et des îlots, on franchit sans le savoir une sorte de détroit flanqué de falaises en pain de sucre.
Puis vers le nord, un long bras de lac s'étire comme une micro Adriatique. Notre prochaine étape est une petite marche dans la forêt, pour atteindre un autre lac isolé, qui semble ne pouvoir être joint que par ce chemin.
Le parc dont nous traverserons environ 1200 m est nommé le "sanctuaire Khlong Saeng de la vie sauvage" et prévient le visiteur de prêter attention aux éléphants sauvages.
Probablement que son ampleur, sa flore endémique et la faune qu'il abrite méritent ce titre un peu pompeux.
Mais de la faune nous ne verrons qu'un lézard si délicat dans ses mouvements qu'il paraît immobile et une tarentule (ou une mygale?), boule noire velue dans le creux si profond d'un arbre que nous devrons faire confiance à la parole de notre guide.
Pourtant y séjournent dit-on des éléphants, des gibbons, quelques félins, des serpents et bien d'autres animaux spectaculaires, qui se cachent en tout cas bien profondément, lors du bruyant passage de notre groupe.
De la flore, rien que d'assez habituel sous ces latitudes, un fruit de jacquier, quelques ananas, un généreux papayer et de puissantes lianes dans lesquelles notre guide joue à Tarzan. Les quelques circonvolutions de rotin paraissent modestes par rapport à celles que nous avons vues au Sri Lanka.
Mais la forêt a cette dense et moite majesté qui fait la splendeur tropicale.
Le chemin ocre s'élève de 50 mètres au départ puis suit un parcours parfois en balcon, pour redescendre à l'autre extrémité vers le lac isolé.
Sous une chaleur assez étouffante, subissons sans broncher une très collante, mais très prévisible et banale transpiration. Buvons donc!
Blotti au fond de son anse cul-de-sac, un agréable petit ponton avec possibilité d'hébergement flottant nous attend, sur une eau presque miroir tant elle est immobile.
Pour un peu, on se croirait à l'entrée d'un fjord, avec ses hautes falaises environnantes ; mais un fjord tropical.
C'est maintenant, pour bien faire couleur locale, que nous montons dans une sorte de barque faite de bambous assemblés. Elle va nous conduire jusqu'à des grottes-cavernes à flanc de falaise, les cavernes de Pakarang, qu'on appelle aussi la Grotte Coral.
Certaines perspectives avant d'y parvenir sont très estimables.
Grotte sur lac et draperies calcaires
Après avoir gravi une pente assez raide, la sombre anfractuosité se présente.
Nous y pénétrerons sur quelques mètres, pour apercevoir les stalagmites accumulés dont les concrétions peuvent évoquer un empilement de petits éléphants (ce qui vient naturellement à l'esprit dans le contexte local), ou bien qui semblent répéter un motif de brocolis superposés.
Les stalactites ne sont pas en reste où l'on contemple les drapés en faisceau, en élégant rideau, ou en forme de superbes chevelures ophéliennes, d'autres, hérissés et puissants comme ceux que l'on voit par exemple à Koh Hong, ou encore en spirales repliées comme des anglaises ou des papillotes de rabbin sur lesquelles on voudrait tirer...
Là se niche aussi un petit temple avec ses offrandes.
Nage avec Avatar
L'ultime étape nous conduit tout à fait à l'opposé au sud, sur un site où plusieurs éperons rocheux se dressent au-dessus de la surface de l'eau, à proximité des raides versants de la montagne, à la manière de l'îlot James Bond.
Leur configuration brute et déchiquetée, la manière spectaculaire dont la luxuriante flore se les est appropriés a inspiré dit-on les rochers en apesanteur du fameux film "Avatar" de James Cameron.
Pour les quelques-uns qui osent nager sans avoir pied en cette eau profonde et calme, ce sera l'occasion de faire quelques longueurs voluptueusement rafraîchissantes, dans leur voisinage.
Et je retrouve là soudain (mais si, mais si, c'est bien la tête blanche...) une autre "madeleine de Proust", le goût fade de l'eau douce ; précisément le même que celui de l'eau de Garonne que je traversais dans ma jeunesse au pied de mon village.
Plus dure sera la remontée dans le bateau, avec une échelle arrière dont les premiers degrés se trouvent hors de l'eau... Il suffit de voir la tête du vieillard au bain, ulcéré qu'il faille recourir à un palan (photo interdite!!) pour l'en extraire.
... mais qui malgré tout a nagé dans "Avatar"...
dans notre lac
quelques rochers du film "Avatar"
dans "Avatar"
Il nous reste cependant à faire le chemin exactement inverse, y compris la marche forestière.
première étape du retour
Dans le bout de film ci-contre, le bruit est VRAIMENT celui du long tail boat.
Pour stopper, il suffit de cliquer sur l'image en cours.