Las Vegas en passant,
incandescente et délirante
Las Vegas, brûlante au propre comme au figuré, incandescente sous ses 40°C diurnes.
Il fallait bien quelque part choisir d'arriver et de repartir de ce petit périple américain dans la région de l'Utah et de ses environs. Depuis Paris ce fut Las Vegas (Nevada), à l'aller via San Fransisco (transfert stressant, le temps de franchir la douane, récupérer nos valises et les réinjecter) et au retour via Chicago.
La ville délirante se dresse dans une sorte de brume de chaleur, énorme cicatrice, resplendissante balafre dans l’uniformité du désert quand on revient vers elle par la route 15 depuis les plateaux qui la dominent.
Malgré deux nuits (l’une à l’aller, l’autre au retour) passées là, nous n’en aurons aperçu que les parties les plus visibles, les plus traditionnelles ; et négligé une infinité d’autres possibilités effrénées, bizarres ou inénarrables.
La voilà, monstrueuse de ses hôtels gratte-ciel, de ses rutilantes enseignes géantes, et de ses reconstitutions des plus réputés monuments du monde, soignées mais souvent étriquées (dont les principales datent de 1999).
Les juxtapositions hétéroclites sont forcément concentrées vers le centre de la ville, où elles se toisent allègrement de part et d'autre du Strip comme un Disneyland plus appliqué dont les moyens seraient inépuisables.
Ville refermée sur ses dédales incroyables quand on s’élève au premier niveau au-dessus de la rue. Pour éviter la fournaise à ciel ouvert, on pourrait presque totalement la traverser en atmosphère climatisée, comme on traverse Montréal l’hiver dans ses dédales souterrains à l’abri du froid.
Même dans ces vastes espaces, il n'a pas été possible de reproduire la Tour Eiffel à l’échelle comme le souhaitaient les concepteurs, qui ont dû se résoudre à faire moins en raison de la proximité de l’aéroport.
Et tant qu'à faire moins, autant tout y mettre : Arc de Triomphe, Opéra Garnier, peut-être un bout du Grand Palais, et même la mongolfière du premier vol humain de 1783.
Par contre, pyramide de Gizeh et Sphinx seraient à l’échelle, même si le profil de ce dernier est celui d'un Jake Gyllenhaal au sourcil tourmenté plutôt que la tête hiératique du puissant pharaon egyptien.
L’extravagance est partout, dans les stupéfiants canaux à gondole qui sinuent à l’intérieur même du premier étage des immeubles, passent sous quelques petits ponts trop proprets, longent des murs de carreaux aseptisés, dépourvus des belles décrépitudes de la Sérénissime.
vrai ciel
vrai ciel
faux ciel
Pourtant la reconstitution à courte perspective de la Place St-Marc sous un haut plafond imitant un ciel vénitien crépusculaire parvient quelques secondes à faire illusion.
faux ciel
Ailleurs dans le quartier Vuitton, qui est forcément celui du luxe, de superbes et colossales œuvres de bois, des copies soignées de vastes corridors florentins, une grande fontaine intérieure qui n’est pas celle de Trévi.
Le Cirque du Soleil à son zénith affiche ses divers avatars, et l'entrée du gratte-ciel de l'hôtel New York New York se pare d'un flamboyant Art Déco
La ville exprime aussi les plus explicites des invitations aux spectacles et aux revues, souvent à caractère érotique avec ces duos de jeunes filles en meneuses de revues bien emplumées, fesses souvent mal choisies, qui sont une publicité sur trottoir, mais cela seulement.
Car, même pas question de les photographier.... pourvu qu'on les suive ; elles qui ignorent que l'une des plus fameuses meneuses de revue fut notre monument national, Line Renaud.
Le fantôme de Joël Robuchon (décédé le 6 août dernier) vient hanter l'atelier qu'il avait ouvert lui aussi dans ce temple des excès et des démesures que l'homme a ici créé, et auquel il n'avait pas résisté.
Le jeu, omniprésent, ubique, frénétique, se faufile jusque dans les moindres recoins des stations-services ou des « groceries », mais se donne surtout libre cours dans les immenses volumes des hôtels, dans les galeries, sous des arcades, 24h sur 24.
Près de 400 millions de dollars de chiffre d'affaires pour la ville en août 2018, mais en baisse malgré l'inventivité des investisseurs. Pourtant, l'impact sur la fréquentation de l'attentat très meurtrier du 1er octobre 2017 depuis une fenêtre du Mandalay Bay Resort and Casino s'estompe.
Au tout petit matin, de rares habitués avachis s’accrochent encore à leur siège, le visage émacié qui blêmit ou rougeoie au rythme des objets qui défilent sur l’écran, s’endorment même devant la dalle, se lovent presque dans sa concavité, foyer virtuel, tactile et impassible qui absorbe ses dollars sans jamais les leur rendre.
A l’extérieur, le long Strip (de son vrai nom "boulevard de Las Vegas"), est l'axe principal de la ville orienté nord-sud, que double un peu à l'écart à l'ouest l'autoroute 15.
Le Strip et d’autres boulevards, vastes et très larges rubans de bitume, - qui est ici conçu pour ne pas fondre sous l’ardent soleil-, se croisent, s’envolent, coupent d’autres avenues sous les vives couleurs des gigantesques immeubles qui se parent de couleurs criardes ou somptueuses quand vient la nuit.
Dans un vaste bassin au fond duquel un boulevard en corniche voudrait peut-être imiter Monte Carlo, à intervalles réguliers se déroule un assez bel et original spectacle de jets d’eau, juste en face de la Tour Eiffel.
Cadencés en musique, jouant avec volupté des mouvements synchrones de ses lances d’eau, c’est un festival visuel presque oriental quand le soleil bientôt couchant éblouit en transparence les arcs et les brumes d’eau.
Pourtant toute cette eau qui joue les chutes et les généreuses cataractes ne provient principalement que du plus grand lac de retenue des USA, le lac Mead, un peu en amont au milieu du désert à une trentaine de kilomètres à l'est.
Le lit de la rivière Colorado qui poursuit son parcours depuis ce lac vers le sud marque la frontière entre le Nevada et le nord de l'Arizona.
La vaste avenue est si large qu'il faut plus de 30 secondes pour la traverser à la hâte, après avoir attendu plus de deux longues minutes au bord du trottoir. Hors du passage piétonnier, point de salut, et le klaxon menaçant des taxis qui connaissent leur droit le rappelle rapidement.
Une Mac Laren s’essaye au dérapage à peine contrôlé, des voitures de pompier rutilantes dont on se demande qui passe le temps à les fourbir se dirigent toutes sirènes hurlantes vers le lieu à secourir.
Vers le nord, le Down Town, un immense Mac Do comme il est impossible d’en voir chez nous, parfaitement propre, ne collant pas aux semelles dans les toilettes (performance !!).
Il accueille, sans rejet manifeste de la part des employés, quelques « homeless people » plutôt nets, face à un mur aveuglé de soleil, aride et fonctionnel, loin des décors du centre.
On se rappelle aussi que Las Vegas est la capitale mondiale du "fast-wedding", comme en témoignent cette "chapelle des fleurs".
Dans l’avion depuis San Francisco une femme plus très jeune et ravie, jupe courte moulante, faux diadème au front et faut bouquet dans les bras, vient y épouser son robuste gigolo mexicain.
Plus tard sur un trottoir croise notre chemin un groupe bruyant et éméché d’un autre mariage en goguette, entre un faux Elvis en blanc costume, banane trumpesque, presque aussi "fat" que le King à son déclin, et sa dulcinée façon Marylin très boudinée.