Utah, à Moab, des monts
et l'immensité des canyons
Utah, en allant vers Moab
Depuis Bluff en direction plein nord, la route 191 nous mène vers Moab.
La végétation n'est plus ici désertique et une forêt de maquis et d'arbres hauts verdit le paysage.
Au point qu'après Blanding, un village se nomme "Verdure".
Puis la riante ville de Monticello est une sorte d’anomalie de coquetterie dans le paysage presque méditérranéen.
Monticello doit en effet son essor surtout aux mines d'uranium de la région, celle de Moab comprise (les plus riches des USA) et de vanadium, exploitées entre 1940 et 1965.
Un énorme travail de nettoyage des déchets radioactifs est ensuite entrepris par le Gouvernement fédéral de 1989 à 2004 (on en verra un autre exemple en banlieue de Moab).
Lors d’une pause après Monticello, à l’arrière des buissons qui longent la route gisent deux pattes de daim et une peau totalement dépecée, là sur la quinzaine de mètres qui séparent le bord de route d’une barrière.
Festin de coyote une des nuits précédentes ??
Puis la route dévale une pente en lents lacets vers une très vaste vallée.
Plus loin, elle longe un rocher colossal qui a la forme saugrenue d’une cloche presque circulaire surmontée d’un chapeau, objet de l’intérêt des touristes.
C’est le « Church Rock », le rocher église ainsi nommé.
Une bifurcation sur la gauche, et voici la route 133, aussi appelée "Needles Overlook Road" ; on parvient au point de vue après un long parcours, au nord de la rivière Indian Creek.
Tout le long, de petits massifs allongés, très érodés, semblent s’affaisser, et se peignent de strates diverses.
Utah, détour à Canyonlands
par le sud-est : les "Needles"
On aborde ici la région nommée "CanyonLands National Park", elle-même composée de plusieurs vastes parties au sud-ouest immédiat de Moab.
La partie la plus au sud s'appelle "The Needles" (les aiguilles, que l'on cherche encore... Il y en a bien, mais il faut prendre le temps de visiter).
Arrivé au "Needles Overlook" par la 133, la falaise soudain donne sur un immense plateau, quelque 450 à 500 mètres en contrebas, dont le fond est entaillé de canyons.
L'horizon seul borne l'autre bord de l'immense dépression.
Pour un peu, on croirait que la largeur semble ici plus importante que celle du "Grand Canyon". De fait, celui-ci garde le record du gigantisme.
A vol d'oiseau, 18 km (seulement) séparent le "Grand View Point Overlook" de Canyonlands au nord et le "Needles Overlook" au sud-est.
En bas, c'est l'inévitable fleuve Colorado. Mais il est ici rejoint par la "Green River", la rivière verte, qui vient du nord.
La confluence n'est pas seulement celle des deux cours d'eau, mais de leurs vastes canyons respectifs, auquel s'ajoute en voisin immédiat celui de l'Indian Creek, quelque part à nos pieds.
Le panorama est saisissant et somptueux, trop vite contemplé.
A l'époque de la conquête, les Etats-Unis d'Amérique se forment progressivement et apprennent sans a priori la démocratie en marchant.
On avait alors la gâchette facile.
L'Amendement n°2 de la Constitution grave dans le marbre le droit à la possession d'arme ; on sait quel en est le tribut aujourd'hui.
En tout cas, le colt était si familier qu'on a donné à quelques monts coniques au-delà de la vallée le nom de "Six Shooter" (six tireurs) car le profil de leur sommet évoque (encore pour l'instant, mais l'érosion en aura un jour raison) un revolver tirant vers le ciel.
En reprenant la 191 vers le nord se profile sur une crête (qu’en anglais on appelle « fin » comme « nageoire ») au-dessus de la route à l’est une grande arche, nommée Wilson Arch. Déjà spectaculaire.
Surtout quand là-dessous, l'obsession du selfie prend le dessus...
Utah,
Moab, reine déchue... de l'uranium
Enfin la 191 descend en sinuant vers une large vallée encaissée nommé « Moab Fault », la « faille de Moab », où la ville s’étire longuement, presque langoureusement.
La "faille" ressemble aux vallées en auge alpines, sans pour autant avoir subi la même sorte d’érosion.
Le principe de dénomination des rues perpendiculaires à l’avenue axiale qui traverse les villages et les petites villes est partout le même : une « Center Avenue », dont le croisement avec l’avenue axiale référence le cœur de la ville.
A partir de celle-ci sont définies les avenues qui lui sont parallèles vers le nord (100 North, 200 North…) ou vers le sud (100 South, 200 South…).
C’est simple et clair, au moins tant que la topographie de l’agglomération est nettement orientée par rapport à l’axe nord-sud (ou l’axe est-ouest, ce qui revient au même).
Dans Moab se succèdent le long de la 191 restaurants, hôtels, motels, « groceries », et surtout de nombreux magasins de souvenirs parfois intéressants.
Dans la Center Avenue perpendiculaire à la 191, une vaste et moderne bibliothèque (« Library ») au personnel avenant et disponible offre notamment le libre accès à des PC et internet.
Presque en face, sur un terrain de sport surdimensionné, de jeunes adolescents caparaçonnés en joueurs de football (forcément) américain, mais sans le casque, s’entraînent paisiblement et avec méthode sous les directives de leur coach.
Quand l'esthétique habille la fonction : voitures de pompiers, camions éboueurs sont rutilants, immaculés, étincelants!!! Comme pour la parade.
Mais qui passe donc son temps, dans les profondeurs des garages, à épousseter, à polir, à fourbir ces outils du quotidien? Le résultat est en tout cas toujours étonnant, spectaculaire, mais avenant.
Presque dommage de collecter des immondices avec d'aussi beaux camions!! A l'inverse de chez nous, où le contenant paraît parfois pire que le contenu.
Aux abords immédiats de la très longue courbe de la 191 qui vient de franchir le Colorado vers le nord, un très grand terrain bien ceinturé est arrosé constamment. Comme une terre agricole très soigneusement entretenue, mais dont rien ne sort.
De lourds appareils de terrassement s'activent.
C'est un site d'enfouissement de déchets radioactifs anciens, qui sont en cours de transfert vers le nord.
Là était en effet l’un des plus grands gisements de minerai d’uranium des USA ; on extrayait aussi dans les parages du vanadium (voir Monticello), de la potasse à ciel ouvert, du manganèse, et même du pétrole et du gaz.
Après l’arrêt de l’extraction d’uranium, les très importants déchets (16 millions de tonnes) issus de l’extraction du minerai, les « tailings », résidus sableux accumulés sur place ne pouvaient rester là, si près de la ville et au bord de la rivière Colorado.
Un autre dépôt en un lieu plus sûr dans la longue durée, et dépourvu de population a été inauguré en 2008, sur les hauteurs à la jonction entre les routes 191 depuis Moab et la route 70, à la « Crescent Jonction ».
Sur une voie ferrée monorail qui longe comme un trait rectiligne la 191, le transfert de ces déchets, commencé en 2009, devrait s’achever en 2025, à raison de 4 passages hebdomadaires d’un train de 136 wagons tombereaux (charge d’environ 5000 tonnes).
Utah,
Canyonlands par le nord :
"l'île dans le ciel"
Vers le nord depuis Moab, la 191 longe la voie ferrée, interminable et rectiligne comme un trait noir.
Quelque 8 miles plus loin, un embranchement vers la gauche : la route 313 gravit un plateau, où deux Mesas face à face, proue vers proue, portent le nom de deux bateaux qui se sont affrontés pendant la Guerre de Sécession, Monitor et Merrimac.
Après quelques longs lacets, elle s'infléchit vers l'ouest, puis franchement vers le sud.
D'autres incroyables points de vue sur Canyonlands nous sont promis, cette fois depuis le nord, à l'opposé de ceux que nous avons vus à "Needles Overlook" depuis le sud-est.
Vers l'est, le massif des trois sommets caractéristiques de La Sal s’aperçoit de très loin.
La 313 se déploie sur un très vaste plateau, dont l'altitude varie entre 1700 et 1900 mètres.
Après avoir laissé à gauche le chemin vers le "Dead Horse Point" (non vu), c'est bientôt le Visitor Center de ce qui est ici nommé « Island in the Sky » (l'île dans le ciel, un site superbement nommé). Le très haut éperon rocheux domine la confluence entre le canyon du Colorado et celui de « Green River ».
Les perspectives sont sans limite au point que l’arrière-plan se noie dans une fusion des couleurs presque brumeuse, puisque la distance ne permet plus d’observer les détails du relief.
Différent du Grand Canyon en aval, mais aussi et autrement stupéfiant.
Seul au-delà le massif de La Sal ou celui des Abajo Mountains offre une butée toute relative au regard.
Une piste blanche vertigineuse permet aux plus hardis - y compris de (trop longs) camping-cars - de descendre à flanc de falaise en étroits lacets vers le plateau intermédiaire.
Mais au bout de l'extraordinaire promontoire de "l'île dans le ciel", la vue de la "Green River" est encore plus époustouflante, depuis le "Grand View Point Overlook".
L'immense plateau inférieur se creuse d’autres canyons plus profonds aux bords très nets et sombres.
On n'aperçoit de notre plateforme que le noir contour supérieur tranché, et les méandres rapprochés et très ramifiés de la rivière au fond.
Ce relief à trois niveaux, le plateau supérieur, l’immense plateau intermédiaire quelque 600 mètres plus bas, enfin le lit profond et encaissé de la rivière tout au fond, 200 ou 300 mètres en-dessous, la différenciation des couleurs des strates, tout ici illustre comme un livre ouvert l’histoire géologique de la région.
Un autre point de vue donne sur un relief aigu qui semble être, cette fois au plus près, l'un des "Six Shooter" (mais qui pourra le confirmer,... ou l'infirmer?) déjà aperçu depuis "Needles Overlook".
Si l’époustouflant relief ne favorise pas les raccourcis, il préserve naturellement aussi son intégrité, un argument que les autorités reprennent pour justifier avec raison l’inutilité de construire des oeuvres d’art façon Pont de Millau (parfaitement justifiable chez nous).
Quoiqu’une telle œuvre jetée au-dessus d’un canyon ne manquerait certainement pas d’allure.
Utah
... et quelques autres sites originaux du parc de Canyonland
Sur le chemin, une balade de 800 mètres permet de voir, posée sur le bord même de notre plateau, une élégante arche qui sous-tend l’arrière-plan vertigineux.
C'est la "Mesa Arch".
Jusqu'à à l’excès même : un jeune couple de chinois ne cesse d'autoposer de mille et une manière et sans aucune gêne. Comme s'il avait « privatisé » l'espace. Irritation non feinte des autres touristes et de Marlène en particulier.
Et le touriste redevient lilliputien.
Les hyper-narcissiques aiment tellement leur image "urbi et orbi" (PS : "à la ville et au monde")... Merci les réseaux sociaux!!!
Après cette phase d'ébullition, il fallait à Marlène une petite pause.
Avant d'aborder à quelques miles de là un sommet arrondi qu'il faut gravir pour tomber au-dessus d'une anomalie géologique : un véritable cratère, dans cette région qui n'a vu aucune activité volcanique depuis des dizaines de millions d'années.
C'est le « Upheaval Dome » (le dôme du bouleversement).
Vertigineux, il surprend par des couleurs où l’ocre laisse la place au bleu-vert-gris clairs et au pourpre lie-de-vin.
Les géologues sont partagés sur son origine, qui n’est pas plus d'origine volcanique que celle de l’ensemble de la région : asséchement salin ? impact de météorite ?
En revenant vers Moab, un peu en retrait des falaises, le plateau accumule de très massifs et épais rochers érodés, très étalés comme les boules de pâte des boulangers. Ils culminent de 50 à 80 mètres au-dessus de la route.
Ce groupement rocheux est appelé « le Rocher de la Baleine » (en anglais « Whale Rock ») du fait de ces immenses volumes affaissés aux profils en lentes courbes. Mais le pouvoir évocateur tourne court.
Sans viser le sommet, pourtant facile, nous sommes attirés par une anfractuosité, vers laquelle nous allons. Ce n'est qu'un creux de rocher concentrant un peu l'humidité.
L’occasion, sans trop d’effort (facile pour les enfants), de sentir sous le pied de quoi sont faites ces roches, de slalomer entre les arbustes torturés, qui poussent en vrille, qui recherchent de tels abris rocheux protégés du vent, ou s’accrochent au moindre résidu d’humidité issu des très rares pluies.
Ces petits cactus aux longues épines moustachues, capables de résister aux extrêmes températures et de survivre presque sans eau en sont un autre exemple.