Arizona nord, Monument Valley,
mythiques paysages de western
en pays Navajo
Depuis Bluff, la route longe un plateau désertique.
L'ocre emplit l'espace.
Des formations arasées sont comme des ruines de châteaux ou de piliers-donjons, pourtant pas de la main de l’homme.
Monument Valley n'est plus très loin, sous un ciel pur qui laisse deviner l'intense chaleur sèche à venir.
De colossaux rochers (les mesas) font des forteresses, d'improbables Krach des Chevaliers, de sinistres et fantastiques hérissements à la Tolkien.
De hautes et étroites lames rocheuses, de fragiles et hautes crêtes comme d'immenses murs levés et érodés évoquent au loin une main papale en bénédiction, un pouce levé, voire … un doigt d’honneur.
Tous portent un nom, pour les touristes, après celui que leur avaient attribué les Navajos. Inutile et fastidieux de tenter de les évoquer.
Du côté de l'Arizona,
en piste(s) pour Monument Valley
Les falaises de cuivre, bistre comme du cuir tanné, presque polies semblent dessiner des bas-reliefs abstraits.
Sur les pistes de sable ocre, si fin qu’il pénètre dans les moindres interstices et remplit les chaussures, quelques superbes arches naturelles apparaissent soudain, comme « l’oreille du vent » (« ear of the wind »).
Le site est si connu qu'un emplacement de prise de vue est gravé sur un rocher, depuis lequel l'arche s'encadre de manière trop convenue entre les branches d'un arbre mort.
Cadrage standard pour touriste manquant d'imagination.
Ailleurs, c'est le "sun's eye", l'oeil démoniaque du soleil, ou plus loin la "mocassin arch" qui aurait la forme de la chaussure indienne, ou encore une puissante et profonde double arche.
A flanc de rocher, quelques pétroglyphes, des daims ou des antilopes à cornes longues.
Puis voilà une colossale crypte naturelle, percée en son sommet d’un parfait orifice circulaire. On l'appelle le "Big Hogan".
Sur la paroi, le soleil projette sa lumière par l'orifice, réplique nette de celui-ci.
A l'intérieur de cette immense demi-coquille verticale haute comme la nef d'une église, au pied du rocher bien incliné, un guide qui nous précède siffle dans sa flûte une mélodie Navajo, pour un couple d'asiatiques recueillis.
Le nôtre nous invite à prendre place -pas très confortable, cette pente- puis chante avec talent une mélopée au ton nostalgique, incantatoire, accompagnée de son tambourin. On n'en saura pas le sens.
Depuis le plateau proéminent sur lequel a été établi le Visitor Center, les pistes plongent, sinuent entre les reliefs, longent de courts plateaux buissonneux encastrés de falaises où John Ford tounait peut-être une charge de cavalerie ou une attaque indienne (l'un des sites est nommé "John Ford's Point").
Sans répit, elles cahotent, rebondissent, s'enfoncent dans de petits défilés, dévoilent d'autres arrière-plans, d'autres horizons, des profils fantomatiques sombres et décharnés, passent dans l'ombre plus fraîche de très hautes falaises.
Même les arbres morts, ou d'autres qui paraissent l'être contribuent à la dramaturgie du cadre.
Torturés par le vent, exposés aux extrêmes températures, parfois blanchis comme des ossements, les pins Bristlecone s’accommodent de très peu, font le mort, se recroquevillent sur eux-mêmes.
Ils n’ont de vie que quelques mois au printemps, restent petits et rabougris,... mais vivent jusqu’à 5000 ans!
De temps en temps, sur l'endroit d'un point de vue particulier, quelques boutiques Navajos, une toilette sèche, quelques boissons... et une pause.
Ailleurs, un hogan de démonstration et quelques chevaux nerveux dans un petit enclos ; pour ceux que la selle ne mâche pas et qui savent monter.
Mais le souvenir sera marqué par les grandioses panoramas qui ont été le cadre des grands westerns, même parodiques, et les probables inspirateurs du format Cinémascope, ou celui de bandes dessinées de héros des années 50-60 et encore aujourd'hui de films fantastiques ou de science-fiction (le cadre s'y prête).
Du côté de l'Utah,
Mike et Harry nous accueillent
Directement à l’opposé du Visitor Center qui se situe dans l'Etat de l'Arizona, 3 ou 4 miles à l’écart de la 163, au pied d’une falaise ocre, voici un minuscule village, dans l'Etat de l'Utah.
Là est le « Goulding Lodge », devenu musée.
Il célèbre celui qui dans les années 20-30 avec sa femme Leone, surnommée « Mike », a découvert le site et ses splendeurs, et en a fait la promotion auprès des producteurs de films du genre western.
Pris en photo au long de leur vie (ici en 1937), le couple est l’archétype authentique du couple américain dans sa modernité de ce temps-là : Goulding doit avoir la très haute prestance d’un Gary Cooper, et sa femme la beauté moderne, conquérante et piquante en avance sur son époque.
Une histoire américaine
d'après "https://www.gouldings.com/about-us/"
Leur histoire illustre en bref une vie d'aventure qui tourne bien.
Harry Goulding et sa femme viennent ici au début des années 20, à la recherche de nouvelles opportunités d'affaires, lui qui est marchand de moutons.
Le site de Monument Valley appartient à une partie de la Réserve des Indiens Païutes. Lors de la modification des limites de la réserve, les Goulding achètent un vaste terrain ici et créent rapidement un Trading Post.
Ils commercent avec les Navajos, leur achètent des objets artisanaux, qu'ils troquent contre de la nourriture et d'autres biens.
Après quelques années (?) de vie sous la tente, ils finissent par construire un bâtiment en dur, aujourd'hui le Musée qui se visite.
Le choc de la Grande Dépression des années 30 est terrible pour la Réserve Navajo.
Goulding a entendu parler d'une compagnie de production cinématographique recherchant des lieux de tournage dans le grand Sud-Ouest.
Il a la certitude que la manne du cinéma pourra aider les Navajos.
Partis vers Hollywood en Californie avec leurs derniers 60$, par chance et à force de persévérance, ils rencontrent le déjà fameux réalisateur John Ford en personne, à qui ils montrent des photos qu'ils ont prises de Monument Valley.
C'est le déclic immédiat : John Ford paie aux Goulding une avance sur paiement et vient quelques jours plus tard commencer le tournage de "Stagecoach" (la Diligence) avec John Wayne, devenue sous un titre plus épique "La Chevauchée fantastique" en français.
Le site devenu célèbre se développe encore et les Goulding accueillent des milliers de touristes du monde entier.
Retraités dans les années 60, ils se retirent en Arizona où Harry meurt en 1981.
Mike, revenue ici, y passe ses derniers jours et décède en 1992.
Sans payer de mine, leur maison perchée sur un plateau rocheux adossé à l'abrupte falaise embrasse tout le panorama mythique d’un regard.
Mais la vedette revient ici à l’effigie de John Wayne, et de sa cabane, en fait la réserve de pommes de terre, carottes, oignons des Goulding, dans laquelle l'acteur n'a jamais dormi.
En retrait, une étroite et longue piste bitumée en pente, presque invisible dans l'immensité du paysage, est l’aérodrome local, pour visiteurs VIP.
Non loin un « General Store » hyper climatisé dont tous les employés sont Navajos, attend les clients.
En gravissant la route qui traverse le hameau vers l'arrière, c'est le village Navajo, formé de cette sorte de mobil-homes bien espacés, d'où parfois un pick up débouche, chargé de quelques bottes de foin, pour les chevaux, là-bas.
Pour les non Navajos, juste au pied d'une falaise brune, une pimpante église.
A quelques pas d'un de ces bureaux de dépôt postal avec boîtes à lettres, mais sans personnel, un arbre grêle contre une école sera notre précaire abri contre le soleil ardent, pour notre casse-croûte.