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Peïra-Cava, plateau-crête, silence, air pur

Au bout des lacets, le hameau

Au bout des lacets, le hameau de Peïra-Cava

Depuis le sud et les alentours de Nice d’où nous venons, la raide montée vers Peïra-Cava depuis Lucéram peut emprunter deux chemins concurrents de part et d’autre d’un éperon rocheux.

 

Sur l’écran du GPS, ils apparaissent l’un ou l’autre comme des spaghettis trop cuits et collants, tellement il y a de lacets serrés.

Peïra-Cava par google earth (06)

630 m

1375 m

D’un côté à l’est (avec la vallée de la Bévéra) comme de l’autre à l’ouest (avec la vallée de la Vésubie) , le trajet est de 12 km.

On ne met jamais moins de 20 mn à le franchir, tant à la montée qu’à la descente. Mais pour ceux qui comme moi sont sujets au vertige, la route par l’est est la plus impressionnante, celle que j’éviterai donc.

En tout cas, l’une semble avoir été construite avant 1908 et l’autre un peu après.

 

De la sortie haute de Lucéram jusqu’à l’arrivée sur la crête qui s’élargit en plateau 3 km avant Peïra-Cava, le dénivelé est de 745m. On passe de 630m à 1375m.

Là-haut, dans le hameau à 1425m, deux petits commerces. Celui d’une dame dynamique qui offre le service d’une originale et charmante petite épicerie et fait aussi café-bar sur son agréable terrasse dans la courbe d’entrée du village.

Elle rassemble parfois là au soleil une poignée de ses copines du hameau sous les parasols rouges, et les fous rires vont bon train.

L’autre, plutôt un bar peut-être aussi restaurant, avec souvenirs parfois originaux et cartes postales, est à l’autre bout du village, plus convenu et commercial, moins sympathique.

Peïra-Cava, village de crête (06)

Peïra-Cava est donc, au moins en cette saison de fin juin 2017, peu fréquenté, avec quelques habitants permanents.

Seuls le traversent de temps en temps des cyclistes aguerris, des motocyclistes et une ou deux personnes âgées qui promènent leur chien avec une régularité métronomique.

Mais aussi deux ou trois ruminantes de montagne à la belle robe acajou, échappées de la "vacherie" la plus proche, celle des Granges du Lac. Elles déambulent paisiblement, sans gêne ni contrainte, indifférentes dans leur liberté si habituelle qu'elle leur est banale, sur les bas-côtés herbeux de la route et jusque dans le village même.

Leurs frasques sont bien connues des habitants qui de temps à autre les pourchassent quand d'aventure elles broutent aussi leurs plate-bandes.

vache en goguette, Peïra-Cava (06)

A l’arrivée aussi, nos tenaces préjugés se défont immédiatement : non, ce pays n’est pas sec et minéral, mais couvert de superbes forêts alpines.

La rosée du matin mouille l’herbe ; mais surtout  tout est vert-bleu sous les hauts sapins et les épicéas.

Seules les branches de mélèzes prennent cette couleur ambre rose qui sous certaine lumière dorent les pentes, ou bien ressemblent sous d’autres cieux moins cléments à des arbres souffreteux atteints de maladie.

Beau leurre ?

Autant dire que depuis ici où se situe notre hébergement, l’approvisionnement nécessite de descendre jusqu’au gros village de l’Escarène, 350m d’altitude, à 1 h de voiture plus bas, dont les 20 mn de lacets cités plus haut.

Les visites de la région se répartissent en deux catégories.

Celles qui se font sur place ou en proximité sur la crête plateau ou ses environs : Authion, Calmette, Ardiha autour du col de Turini voisin au nord, ou les environs du village.

Et celles d’autres sites plus éloignés, à une ou deux vallées de distance, alors pour la journée.

Les chaleurs estivales n’ont pas encore frappé à cette altitude au moins. 

Les nuits restent fraîches et la température diurne n’excède pas les 25°C sous abri, quand dans la vallée et le reste du pays s'en vient une forte canicule.

 

On connaîtra ainsi jusqu’à 37°C, persistant bientôt dans la plaine de l’Argens. Notre plateau en petite altitude sera alors un refuge de bien-être.

Authion (06), forêt de mélèzes

Le site est donc parfaitement serein et silencieux. 

L’air s’aspire à poumons à peine contenus avec une sorte de délectation, surpris de cette fraîche pureté. Et provoque une sorte de discrète et exclusive euphorie.

 

Cette topographie de crête offre de part et d’autre de somptueux paysages tant vers l’est (ci-dessous) et l’Italie au nord que vers l’ouest et même le sud, avec au loin la Méditerranée devinée au travers d’une basse brume lointaine. Au point qu’on apercevrait par temps clair d’après averse… l’île de Corse. Laissons cela à qui y croit ; nous ne la verrons pas en tout cas nous-mêmes.

paysage depuis Peïra-Cava (06)
Une station d'hiver disparue

Peïra-Cava, singulière station d'hiver disparue

2017

Ce hameau aujourd’hui endormi à la maigre population a pourtant connu ses heures de gloire, fin 19ème et début 20ème.

En témoignent deux ou trois grandes maisons-hôtels anciennes (l'une garde le nom en caractères gothiques bien défraîchis "Relais monégasque"), maintenant reconverties, ou bien plus ou moins à l’abandon en attendant acquéreur.

Peïra-Cav (06), caserne en 1907

1907

Peïra-Cava (06), on complète la caserne, 1935

1935

Pendant plus d’un demi-siècle jusqu’à l’occupation italienne de 1942, 300 à 1000 chasseurs alpins y résideront à l’année.

Ce site militaire garde, même après la libération presque totale des Alpes Maritimes en septembre 1944, son caractère stratégique pour les derniers combats français contre les troupes allemandes qui occupent les fortifications du massif de l’Authion voisin, après le départ des Italiens. Le point d’orgue est la prise de ces fortifications par les français le 12 avril 1945.

Peïra-Cav (06), en avant pour les sports d'hiver

En tout cas, on doit d'abord à cette présence militaire importante les premières compétitions de ski ou de luge. Leur caractère ludique séduit la société civile niçoise qui s'en empare ensuite rapidement.

 

Déjà, "L’Intransigeant" du 2 janvier 1880 rapporte l’expérience d’un skieur monté à Peïra Cava.

Il fallait aussi à cette population un lieu de culte. Il se concrétise par la construction de l’église Notre-Dame-des-Neiges en 1903 (photo) à laquelle a contribué le mécène Robert de Courson.

La photo témoigne déjà du succès du site, quand on observe l'élégance des robes début de siècle.

Peïra-Cava (06), chapelle un dimanche vers 1903

début 20ème

et celles des années "canotier" en 1920.

Peïra-Cava (06), chapelle vers 1920

1920

chapelle de PeïraCava (06)

2017

De là et un peu après date la construction d'au moins trois hôtels qui auront leur réputation, et qui subiront progressivement quelques avatars (changement de nom...) pour cesser leur activité plus tard.

Ainsi du "Grand Hôtel Faraut", construit presque à flanc de falaise, qui s'enorgueillit de posséder le chauffage central et un garage pour automobiles. Là s'arrêtent, lors de "l'ouverture du 15 avril" peut-être vers 1900, des calèches tirées par des chevaux (pauvres chevaux dans la terrible montée ; plus d'un passager a dû mettre pied à terre pour pousser, le luxe se méritait en ce temps).

Peïra-Cava (06), hôtel Farault vers 1900

vers 1900

En 1911, Nice en fait une publicité dynamique et moderne très Art Nouveau.

 

Le renom de la station atteint son apogée dans les "Années folles", c'est à dire dans l'entre-deux-guerres. probablement dans les années 1930. On parle dans la revue glacée « Fémina ».

En son temps, on a voulu en faire en effet une station de montagne aussi prisée que Vichy, Aix, Contrexeville (journal de 1905), voire même avec exagération une ville thermale. On va jusqu’à parler dans les années 1920-30 de la « Suisse niçoise ».

Une raison à cela : ce sont les militaires qui commenceront d'abord à exploiter et faire connaître ses atouts d'hiver.

C'est en effet un lieu militaire stratégique du fait de sa situation privilégiée d'altitude et de la proximité immédiate de cette frange frontalière disputée avec l'Italie.

 

Ce sont les tensions entre France et Italie en cours d’unification dans les années 1870 à 1880 qui conduisent ici à la construction des casernes Crénant de 1876 à 1887, que l’on voit encore aujourd’hui (carte postale de 1907).

 

Elles sont ensuite étendues à d'autres bâtiments dans les années 1935 (photo de construction-extension par la société Roussel en mai 1935).

Dès le début, ces bâtiments pouvaient accueillir jusqu’à 1000 hommes, qui ont été d'abord des chasseurs alpins (cf carte postale).

C’est donc précisément l’implantation de cette garnison qui entraîne le succès ensuite de la station de ski.

caserne de Peïra-Cava (06)

2017

Comme dans toute ville d'implantation militaire durable, on y croise quelques anecdotes propres au contexte et au milieu.

On voit ainsi dès 1887 à Peïra-Cava un sous-officier (adjudant au 11ème de Ligne), L. Chatelain tenter de livrer un modèle du fameux nouveau fusil Lebel à l’Italie, après avoir essayé de le faire pour les allemands (dans "L’indépendant de Mascara", n° 373 du 15 janvier 1888). Un traître donc.

Plus tard, en 1932, quand la France réalise des fortifications à l’Authion, là aussi un jeune chasseur alpin d’origine monégasque et un ouvrier maçon italien tous deux résidant à Peïra-Cava sont accusés d’espionnage pour avoir tenté de monnayer des informations secrètes sur ces travaux.

sports d'hiver à Peïra-Cava, vers les années 30 (06)

Les premières initiatives d’activités hivernales et de concours de ski de fond ici, dans le massif de l’Authion, au col voisin de Turini au nord et au Camp d’Argent apparaissent bientôt.

Victor de Cessole veut développer le tourisme alpin en 06, début 20ème

Victor de Cessole, érudit et humaniste issu d'une vieille famille niçoise, alpiniste chevronné, devient président du Club Alpin Français de Nice en 1900 et le restera jusqu'en 1932.

Il souhaite développer le tourisme alpin des Alpes-Maritimes qu'il estime marginalisé. Il s’engouffre ainsi dans l'opportunité de l'existence du site et crée la station de sports d’hiver de Peïra-Cava à la même époque, en organisant notamment le premier concours avec les chasseurs alpins.

Le Journal Officiel du 3 août 1913 décrète la mise en œuvre d’une convention pour un ligne publique de transport directement entre Nice et Peïra-Cava.

Peïra-Cava (06) et son éphémère Casino

Cette autre photo ancienne (non datée) fait apparaître en arrière-plan au-dessus des casernes aujourd’hui rachetées par la mairie, un étonnant et très imposant casino, dont les dimensions surprennent. Les paris des promoteurs de l'époque étaient donc déjà fous.

C’est l’architecte polonais Adam Dettloff (époque Art Nouveau), créateur de belles constructions sur la côte niçoise, qui en est l’auteur.

Mais le bâtiment s’effondre avant d'être ouvert, en même temps que ses sources de financement. L’idée est donc très vite abandonnée. 

Peïra-Cav (06) affluence au Gd Hôtel Faraut vers 1920

vers 1920

publicité 1911 pour lrd dportd d'hiver à Peïra-Cava (06)
engouement d'été pour Peïra-Cava (06), années folles

Outre l'hôtel "Bellevue-Victoria", ou l'hôtel "des Alpes" (peut-être devenu le "Relais monégasque" ensuite), d'après l'iconographie locale recueillie, il semble même qu'un autre hôtel, le "Truchi"    possédait sa propre patinoire!!

Peïra-Cava (06) et même une patinoire, années 1920?
sports d'hiver à Peïra-Cava (06)

En tout cas jusqu’à la veille de la guerre de 39-45, la notoriété de Peïra-Cava est bien établie, au point par exemple que le site fait partie en 1936 d’un programme touristique du Carnaval de Nice.

C'est ainsi que "le Journal de Paris" cite Peïra-Cava le 24 août 1938, et deux célébrités ici passant, Cécile Sorel, l’actrice, et Maurice Chevalier.

On note aussi ailleurs que Blaise Cendrars y écrit une dédicace (dans « Dan Yack, Blaise Cendrars phonographe » de Bonnefis en 1992).

Peïra-Cava (06), tourisme d'été vers 1920?
Peïra-Cava (06) respirons l'air de la montagne, vers 1920?

On y vient semble-t-il aussi pour y faire la fête avec des moyens que révèlent les belles voitures des années 20, et les atours des dames à la sortie de la chapelle, mais aussi pour profiter l'été de son "bon air" et des multiples possibilités de promenade, en calèche ou même à dos d'âne ou de mulet. 

Pourtant, la chute est presque brutale.

 

Avec tour d'abord le départ des militaires après l’armistice, et en 1971 la création de la station alpine Isola 2000 plus au nord, même si le premier télésiège du village est inauguré en 1963, la station décline très vite.

 

Au point que le télésiège est démonté en 1990.

Et voici donc le retour à l'oubli du village, redevenu hameau, après avoir brillé avec éclat d'une gloire locale.

Voilà qui méritait bien un petit crochet dans le passé.

Promenade autour du village

Peïra-Cava, promenade autour du village

Allons maintenant un peu explorer les alentours immédiats du village, par la petite route qui s'enfonce en oblique de la route principale, au-dessous des principales maisons du village sur le flanc est de la crête. On la quitte à droite pour une allée qui devient piste.

De là, en contournant un petit promontoire, on atteint une sorte de belvédère naturel peut-être connu dans le passé comme celui de "la pierre plate".

Le hameau émerge à peine au loin dans son cadre verdoyant. Au nord-est, le vaste panorama est bien sûr superbe et dévoile des versants à l'adret rocheux à peine couverts d'une rase et tenace végétation épousant les immenses strates géologiques resserrés. 

 

En contrebas, une étroite et vertigineuse crête de roches plates se poursuit vers un autre belvédère où nous n'irons pas, malgré le chemin qui y invite.

depuis Peïra-Cava (06) vers l'Italie

Soudain, dans l'herbe haute, un animal aux longs poils frémit et s'éloigne : un blaireau à peine effrayé qui fuit sans se presser en se dandinant avec fluidité, puis à peine masqué, s'arrête et nous observe.

 

Notre premier exemple de la faune sauvage locale, paisible et bien nourri. 

faut pas le prendre pour un blaireau Peïra-Cava (06)

Sous les grands sapins clairsemés, voici les jeux d'accrobranche, encore fermés et figés, avec notamment un vélo sur filin qui ne doit pas manquer de provoquer des sensations.

Puis après avoir traversé l'herbe épaisse du plateau-vallée irrégulier, nous passons près des vaches de la "vacherie", celle des transfuges nomades qui errent jusqu'au village.

La large piste en lacet nous conduit vers la route principale. Nous la traversons pour monter vers les hauteurs au-dessus du bourg, avant de parvenir à un sommet en crête.

L'occasion en chemin de passer devant de belles maisons-chalets, l'une aux couleurs monégasques, comme des refuges reculés de riches et discrets  habitants du littoral.

Peïra-Cav (06), pâturages et une "vacherie"
village de Peïra-Cava (06) sur sa crête

Aménagé comme un large balcon ombragé, le chemin se poursuit, passe sous de sombres masses rocheuses, pour atteindre une vallée en plateau où l'été s'ouvre pour tous l'attraction d'un "accrobranche", encore fermé à notre passage. 

agréable sentier sous le village de Peïra-Cava (06)

Le parcours est jalonné de rares panneaux d'information déjà anciens, qui donnent quelques informations simples, comme les dates d'apparition sur Terre des espèces d'arbres présentes ici : -140 Ma pour le pin et l'épicéa, -100 Ma pour le chêne et le bouleau, -75 Ma pour le hêtre ; et pour les plus récents, les petits jeunes de nos forêts, -13 Ma pour le sapin et seulement -4,5 Ma pour le mélèze.

D'autres sont à caractère plus écologique, avec des raccourcis saisissants : "quotidiennement, un hêtre centenaire produit 24 kg d'oxygène par jour ; un être humain en consomme un peu moins de 1 kg".

Et une autre aussi instructive : "les grès de Peïra-Cava proviennent il y a -45 Ma d'avalanches sous-marines alors que la région était immergée sous une mer profonde".

accrobranche à Peïra-Cava (avant-saison), (06)
au-dessus du village de Peïra-Cava (06)

Sous un ciel pur, une agréable et tonique prise de contact avant d'aller plus loin.

Mais le souffle est court.

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