Arrière-pays niçois,
villages escarpés, pittoresque de montagne
Accrochés au flanc de la montagne, au bord de petites rivières-torrents, parfois juchés sur une crête en nid d'aigle, ailleurs bien installés en "circulade" sur une haute croupe, ou bien sur un épaulement formant plateau, les villages, les petites villes que nous avons visités offrent un pittoresque original.
C'est ainsi que nous verrons avec grande satisfaction les villages de Belvédère, Coaraze, La Bollène-Vésubie, Lucéram, Piène-Haute, Roquebillière-haut, St-Martin-Vésubie, et Sospel.
Tous ont été fondés avant ou pendant le long Moyen Âge, ont connu les aléas des pays d'entre-deux (entre Rome et Gaule, entre Provence et Piémont, entre France et Italie...).
Avec leur cortège d'occupation par les lansquenets de François 1er ou de Charles Quint, par les troupes de soudards bien payés de Louis XIV, celles des révolutionnaires français, fougueuses et pilleuses.
Peu se souviennent de la période sarrasine (pourtant évoquée à Lucéram), trop lointaine, et qui s'est circonscrite à une large frange de la zone côtière.
Outre le contexte historique, la plupart, au cours des siècles, ont connu et partagé toutes sortes de catastrophes :
- glissements de terrain (novembre 1929 de Belvédère vers Roquebillière bas), avalanches,
- peste (1347, 1629...) ou choléra (1764...),
- tremblements de terre (614, 1348 cependant contesté, 1494 ressenti violemment jusqu'à Nice ; 1564, l'un des plus violents que le territoire local ait connu, appelé le "séisme nissart" ; puis d'autres en 1566, 1618, 1644, tous très destructeurs...).
Haut-pays niçois, passages couverts, ruelles, "cantouns" et "pontis"
Les passages en escaliers sont très pentus, se faufilent, serpentent, passent sous des voûtes.
Quand ils sont couverts et prennent la forme de larges tunnels aux recoins toujours inédits sous les maisons, ou taillés dans le roc, souvent surprenants et compliqués, plongeant ici, s'élevant là, avec d'obscures pénombres qui furent peut-être des coupe-gorges et aujourd'hui des refuges pour amoureux, on les nomme "cantouns", ou "pontis".
Même sur le mamelon de Coaraze qui présente plus d'espace qu'un éperon, on a construit de ces "cantouns".
Ceux de Lucéram deviennent de vrais dédales, s'enfoncent ou libèrent de hauts plafonds, épousent et exploitent avec exactitude la topographie tourmentée du site.
A Piène-Haute, sur l'étroite crête du promontoire, certains sont creusés dans le rocher. D'autres dévalent la pente latérale vers le précipice (non illustré dans le diaporama) où ils semblent aspirés.
Même Sospel, l'ancienne et prospère viguerie établie pourtant sur un vaste plateau à relief modeste, en offre quelques-uns.
Si on a jeté par dessus un passage des constructions qui font comme un pont (le terme "pontis" en vient-il?), c'était d'abord pour gagner de la place pour les habitations et les greniers.
Certains spécialistes disent que c'est aussi pour consolider en les liant ainsi les groupes d'habitations, afin de mieux résister aux fréquents tremblements de terre locaux.
Haut-pays niçois,
quelques exemples de maisons de village
En tout cas, on observe une grande diversité de configurations que l'on doit à la nécessaire adaptation au relief du lieu d'implantation choisi : site de subsistance, de passage et de refuge tout à la fois.
L'exiguité du socle rocheux a obligé souvent à construire des maisons ou de petits immeubles étroits et élevés.
L'exemple le plus typique est celui de Belvédère, avec ses maisons qui présentent au moins 3 étages, accolées latéralement de manière compacte.
Les maisons de St-Martin-Vésubie sont de même inspiration.
Mais là, certaines d'entre elles, hautes et très étroites, se particularisent par la manière dont elle se détachent ostensiblement des groupes de maisons voisines, se positionnent en pignon avec encorbellement autour de la rue centrale qui dévale la crête descendante du village.
De riches propriétaires qui voulaient marquer leur rang?
Et si de belles et hautes maisons embellissent aussi Sospel, elles le doivent plus à la prospérité de la ville entre 16ème et 18ème siècle qu'à la contrainte d'espace disponible.
Haut-pays niçois, escaliers et placettes de village
Les escaliers encaissés aux marches irrégulières, souvent pavées, parfois striées de relief régulier pour éviter de glisser, les ruelles qu'ils desservent, présentent une variété dont on ne se lasse jamais.
Ils débouchent entre des terrasses courtes sur de lumineuses placettes.
Haut-pats niçois,
lavoirs et fontaines des villages
Des lavoirs, des fontaines, scrupuleusement restaurés complètent la touche d'authenticité, dans cette région où le climat chaud et sec trouve une parfaite compensation dans les eaux des torrents de montagne.
Le lavoir de Sospel sur la rive de la Bévéra est superbement décoré d'un trompe-l'oeil et prend une tonalité antique.
Un autre à Coaraze, simple miroir d'eau rectangulaire est couvert d'une très simple et superbe charpente refaite ; l'une des bouches d'eau est une tête d'un dieu marin aux oreilles aquatiques, visage baroque.
Encore un autre très beau à Lucéram.
Une fontaine ronde ou en demi-cercle à Sospel, une fontaine abreuvoir à Coaraze où une vielle inscription dit "il est défendu de laver quoi que ce soit à l'abreuvoir", une minuscule fontaine de coin dans une belle ruelle en pente de Lucéram, charment les recoins et les ombres.
intérieur du lavoir de Sospel
Places et parvis, arcades et clochers,
c'est l'Italie
Les hauts murs ou les volets coquets d'anciennes maisons enchantent parfois de couleurs qui sont au regard une écharpe de chaude lumière.
Les ruelles émergent sur le parvis d'une chapelle ou d'une église, longent des portes de chais presque troglodytes, ou des marches d'entrée des perrons de maisons bourgeoises.
Certaines places de pierres sévères, comme celle de l'église de Coaraze, offrent le calme aride des petits villages espagnols, les tonalités rouges et jaunes en prime.
Le serment à l'infant d'Espagne fait par ce village aux espagnols (Gallispans) pendant la guerre de succession d'Autriche (1744 à 1749) y est-il pour quelque chose?
Les façades, les escaliers se parent de trompe-l'oeil dont les plus modernes ne sont pas forcément les plus aboutis mais restent d'un beau réalisme (Belvédère).
Sur le perron discret de la petite église baroque de Piène-Haute, en travaux, on dérange par hasard un petit groupe d'immigrés africains clandestins, assurément dissimulés là, probablement en provenance de Vintimille par la vallée de la Roya au-dessous, et en attente de passeur.
Nous nous éloignons pour éviter de gêner davantage. A plusieurs reprises, un petit escadron de gendarmerie fait arrêter et ouvrir le coffre des voitures passant à un important carrefour voisin.
La palme du pittoresque et du charme revient sans conteste à la place centrale de Sospel.
La superbe harmonie toute dissymétrique des hautes maisons sur arcades, face à trois églises baroques autour de la vaste place de galets de grès est un vrai régal, rappelant d'autres belles et fameuses places italiennes.
Le vieux pont, pourtant restauré et même reconstitué partiellement lors de successifs dommages, semble inamovible sur la maigre Bévéra.
Le pont vieux de Sospel
Haut-pays niçois, linteaux enseignes et gnomonique
Parfois, un simple linteau de pierre identifie une enseigne, comme celle d'un forgeron à Coaraze, une date de construction (1570) avec une mention mystérieuse à Lucéram, une décoration baroque isolée au-dessus d'une porte ouvrant sur un escalier à La Bollène-Vésubie.
Certaines places ou maisons arborent aussi fièrement des cadrans solaires.
Dans la lumière des pays alpins, l'art ancestral des faiseurs de cadrans solaires, la gnomonique, est presque une banalité (le gnomon est la tige fixée sur le plan du cadran dont l'ombre se projette sur celui-ci et indique l'heure).
Cet art s'épanouit aux 17ème et 18ème siècles.
Un peu tombés en désuétude ensuite, un regain d'intérêt suscite vers la milieu du 20ème siècle la création d'autres oeuvres modernes cette fois.
Ainsi, Coaraze fait appel à des célébrités (Cocteau, Goetz,...) pour en réaliser des versions modernes, en particulier sur la façade de sa mairie qui est aussi bureau de poste. Qui devient ainsi oeuvre d'art.
Un autre beau cadran signé Christine Vallin (date inconnue mais de l'époque moderne) se cache un peu trop sous le bel auvent d'un bâtiment 19ème à St-Martin-Vésubie. Les médisants disent qu'il ne voit jamais le soleil. Le comble pour un cadran... solaire.
Les précipices sont proches, bordent les habitations, offrent dans une perspective étroite une échappée du regard vers d'autres versants éloignés éblouis de soleil.