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Photo du rédacteurJean Lacroix

Dans la série des "cités impériales" du Maroc, voici, voici à Fès...

Dernière mise à jour : 12 mai 2022

... l'extraordinaire Médina



Au Maroc, confins d'Afrique, porte d'Europe, les "cités impériales" sont celles qui, au fil des dynasties successives marocaines, ont été la capitale du pays : Rabat, Meknès, Fès, Marrakech....


Nos visites datent de novembre 2010, dans un circuit accompli au pas de course, à l'allure d'une fantasia, presqu'en apnée.




Fès mérite une attention particulière, ville magique et légendaire dans la plaine du Saïs, plusieurs fois capitale dans son histoire, riche de 12 siècles d'existence commerciale, artistique, culturelle, religieuse.


Son rayonnement au nord du Maroc a souvent concurrencé celui de Marrakech au sud.


Née de l'invasion arabe en 789 avec Idriss 1er (petit-fils de la fille de Mahomet), elle est fondée sur la rive gauche de l'oued Fès, qui lui donne son nom.

C'est la 1ère ville islamique du Maroc.

Puis elle s'étend sur la rive droite avec le neveu d'Idriss 1er.


Elle accueille ensuite espagnols expulsés de Cordoue (quartier "Andalous"), Kairouanais chassés de Tunisie (quartier "Kairouanias"), juifs, chrétiens qui s'islamisent.


Une exilée de Kairouan en Tunisie crée là en 859 ce que l'on dit être la plus ancienne université du monde quand on exclut l'Antiquité, nommée Al Quaraouiyine, au sein de la mosquée du même nom.

Fès devient alors le centre culturel et religieux du Maroc.


L'essor est considérable au 11ème siècle avec les Almoravides qui unifient les quartiers des deux rives, puis les Almohades.


Sous les Mérinides au 14ème, Fès compte 200 000 habitants et redevient capitale du Maroc pour deux siècles. Son rayonnement est comparable à celui de Cordoue d'Al-Andalus.


C'est l'âge d'or de la ville. Les mosquées se multiplient, de fastueuses demeures se construisent ainsi que d'élégantes médersas (centres d'enseignement coranique).

Artistes andalous, lettrés, théologiens, artisans de tous bords, étudiants étrangers, savants d'Europe affluent à Fès.


L'art arabo-andalou dans son extrême raffinement y trouve son apogée vers 1350, tirant parti de sa position sur les grandes voies commerciales nord-sud, de la présence d'oueds plutôt généreux, de sa richesse en matériaux comme la pierre, le bois, l'argile.


C'est aussi à Fès que Boadbil, le dernier sultan d'Al-Andalus se réfugie et meurt en 1533, après la Reconquista ibère en 1492.


Sous les Saadiens, en 1522 un tremblement de terre en détruit une partie. C'est le déclin au profit de Marrakech. Fès se dépeuple, accablée au 17ème par la peste, la famine, des guerres civiles locales.


Mais le prestige intellectuelle se rétablit dans la 2ème partie du 18ème siècle, avant qu'au début du 20ème siècle, le sultan Moulay Hafid de la dynastie Alaouites fasse appel, contre des soulèvements intérieurs, au protectorat français.


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Fès reste le phare culturel du Maroc, et l'un des premiers sites religieux.


Elle abrite pas moins de 176 mosquées, 250 hammams, 800 fours à pain et... plus de 1,3 millions d'habitants, dont 156 000 dans la Médina (chiffres de 2018).




Car Fès, c'est d'abord aussi bien pour les touristes que pour les marocains sa fabuleuse Médina (vieille ville en arabe), intacte depuis le Moyen-Âge.


Ses terrasses sont discrètement constellées d'une multitude d'imperceptibles points blancs sur le lavis ocre doux de la ville : les antennes de télévision.


On y entre aujourd'hui par 14 portes dont la Porte Bleu, ou ici la Porte Boujeloude.



La Médina s'étend, toute en densité qui semble ne laisser aucun espace, au pied de petites montagnes voisines.

Plus de 64 000 artisans répartis en plus de 17 000 ateliers y exercent plus de 200 métiers, organisés en corporations : ferblantiers, chaudronniers, miroitiers, tanneurs, potiers, dinandiers, tapissiers, ferronniers, maroquiniers, menuisiers et sculpteurs de bois, orfèvres, céramistes, brodeurs...

Fascination de ce creuset marocain, arabo-andalou, chérifien
Fès et son extraordinaire Médina, fourmilière artisanale, historique et culturelle, vue depuis le Nord



Pour l'UNESCO, "la médina de Fès est considérée comme l'une des villes historiques les plus vastes et les mieux conservées du monde arabo-musulman. L'espace urbain non carrossable y conserve la majorité de ses fonctions et attributions d'origine. [.......]

Cité des artisans venus en masse des campagnes, peu payés, main-d'oeuvre mais vrai moteur de l'économie locale, on y trouve des produits artisanaux de qualité et authentiques, et des méthodes artisanales qui sont restées ancestrales."


S'il est vrai que les méthodes artisanales restent anciennes, probablement proches de celles des origines, il y a plus à dire sur la qualité de certains produits artisanaux.


Un dédale de 10 000 ruelles compliquées et tortueuses épouse les pentes parfois abruptes.


Là se croisent avec difficulté les passants affairés, les touristes, des ânes bâtés ou des motos pétaradantes porteurs de fardeaux lourds et volumineux.




Le marbre est à profusion, comme les précieuses mosaïques de faïence, les zelliges (à la technique cousine de celle des "azulejos" au Portugal qui s'en sont inspirés, mais qui eux ne sont pas faits de mosaïques), dont la notoriété est universelle.





Un potier barbu actionne son tour avec le pied.

Un autre artisan décore un plat, avec une remarquable dextérité dans la régularité de reproduction du motif.



Partout, des boutiques sont de vraies "cavernes d'Ali Baba" pour les poteries et les cadeaux à touriste, des oeuvres diverses de mosaïques, les zelliges, principalement des plateaux de tables, ou de petites fontaines décoratives.



Ailleurs depuis une terrasse, un bouquet de menthe sous les naseaux pour tenter de masquer la puissante odeur d'ammonique et de peaux qui s'élève des cuves, c'est la vue à presque 180° sur l'activité à ciel ouvert des tanneurs de la "Chouara", foulant, malaxant, découpant, teignant les peaux aux couleurs bariolées.


Une légende du pittoresque de Fès.


Les cuirs sont de moutons, d'agneaux, dont les peaux sont collectées en masse au moment des fêtes de l'Aïd, mais aussi de chameaux. Essentiellement pour en faire des sacs et des babouches.

Les bassins datent du Moyen Âge pour certains d'entre eux ; le travail est totalement artisanal, une vraie lutte permanente manifestement exténuante.


On voyait sur le cloaque fétide de la Bièvre à Paris jusqu'à la fin du 19ème siècle d'autres tanneries ; c'était alors pour du cuir de peaux de lapin ou de chevaux, très loin en tout cas du remarquable pittoresque marocain.



Au pas de course, défilent les échoppes, où l'on cuit des crêpes, qui présentent et vendent d'innombrables produits : plusieurs variétés de dattes, d'olives, de surprenantes rouges arbouses qui ne sont pas des litchis, galettes et loukoums, lourds chapelets de dattes sèches, poisson, paniers d'escargots vivaces...


une fenêtre sur courette, on a la boutique que l'on peut

... ou même des têtes de dromadaires, de moutons.


répète un peu qu'ils sont pas beaux mes poulets!!

Le marchand de bananes fait la sieste, sous sa capuche de burnous, savourant ses rêves orientaux.

mais non, il ne boude pas...

Les échoppes de dinandiers (travail des métaux comme le cuivre par martelage, et dont le nom provient de la ville de Dinant en Belgique ), exposent leurs oeuvres kitsch dans une mise en scène foutoir-souk attractive et clinquante.


Dans les petites places, des chibanis (les vieux) discutent et se souviennent.


Des ânes et des mules, patients et résignés attendent longuement, immobiles et soumis,...

... jusqu'à ce qu'ils soient chargés de leur fardeau, tapis chamarrés, volumineux cartons, parfois même ... des bouteilles de gaz en grappe.

Alors ils mettent l'énergie qu'il leur reste pour avancer, se faufilent, montent, descendent, véhiculant souvent leur vieux maître complice.

temps de novembre, chibani couvert
voilà ce qui s'appelle monter en amazone ; le pied sur le frein, à l'oreille du baudet

Chers ânes, mes frères bien-aimés, je suis solidaire!


Quand au milieu des touristes et dans le flux des passants tente de passer un âne ou un mulet chargé, que s'en mêle un artisan poussant une remorque à main ou circulant à moto, lançant quelque chose comme des "balek!!" retentissants qui semblent dire "attention!!" en arabe, cette animation soudaine est frappée du sceau inestimable de l'authenticité.




L'une des anciennes écoles coraniques de Fès, la médersa Attarine, proche de l'université Al-Quaraouiyine est construite par les Mérinides en 1323-25.

Cèdre rouge délicatement sculpté, calligraphies très riches et élégantes ; sa cour intérieure d'espace haut et de surface limitée autour de la fontaine en marbre blanc du patio suggère la majesté.


Ses petites fenêtres, celles des anciennes chambres d'étudiants sous les arcs brisés, donnent aux façades l'air hautain et blasé d'un sévère ouléma à la paupière lourde.


L'ensemble, dans cet espace limité et sans recul est d'une grande beauté.


La finesse décorative des dentelles de stuc ou de bois de cèdre est une merveille, bien chargée, de l'architecture arabo-andalouse ; les zelliges à motif octogonal qui tapissent le bas des murs sont plus banals.



Depuis l'origine, 60 étudiants à raison de 2 par chambre y ont été hébergés jusqu'au début du 20ème siècle ; ils étaient en général étudiants de l'université Al-Quaraouiyine voisine.



Les nombreux riads, devenus au fil des temps restaurant, hôtel, site de présentation des produits artisanaux locaux illustrent tous les plus riches fastes orientaux, sans excès de sobriété.



Enfin, sur les hauteurs à l'ouest de la Médina se trouve le superbe palais royal Dar el-Makhzen et ses jardins, sur 80 ha.

parfaitement mis en scène au soleil couchant par le tour opérateur
portes du palias royal de Fès, Dar el-Makhzen

La plupart des bâtiments datent du 14ème siècle.

Depuis la vaste place des Alaouites, nous n'en aurons vu que les portes de cuivre extérieures, dorées sous le soleil couchant (adroits tours opérateurs qui organisent à la bonne heure le RdV avec le soleil), et qui elles n'ont été construites qu'en 1970.

place des Alaouites, devant la porte du palais royal de Fès
la Place des Alaouites, vue partielle au soleil couchant, Fès


et en allant à Casablanca, Rabat, Meknès, Marrakech, Volubilis...



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Un résumé lapidaire de l'histoire du Maroc


Carrefour géographique nord-sud à la limite continentale africaine vers l'Océan : le Maroc.

De tout temps, le Maghreb est habité par les Berbères (aussi nommés les Maures). Rien à voir avec les Arabes, futurs envahisseurs depuis l'Orient et l'Arabie.


Permanents mais nomades, ils côtoient plusieurs vagues d'envahisseurs au fil du temps, adoptant souvent leur religion, mais conservant une farouche autonomie dans la mosaïque des tribus toujours belliqueuses. Un trait d'union de toute l'histoire du Maghreb.


Qui sont les envahisseurs?


Dans l'Antiquité,

navire de guerre phénicien 7ème siècle avant JC

12ème siècle avant JC : les Phéniciens, marins commerçants vont au moins jusqu'au port d'Essaouira (anciennement Mogador).


5ème siècle avant JC : les Carthaginois sont là, forte puissance au nord de l'Afrique.


Fin du 4ème siècle avant JC : création au nord du Maroc du royaume de Maurétanie (et non "Mauritanie") par les Berbères.




Juba II

Du 2ème avant JC au 4ème après JC : les Romains consolident la Maurétanie tingitane (de Tanger).

Les dromadaires alors introduits (on n'utilisait jusque-là que le cheval) accroissent l'autonomie des tribus berbères.


Remarquable essor culturel, architectural et économique sous le règne de Juba II (époux de la fille de Cléopâtre et de Marc Antoine).


Et fondation de la ville de Volubilis.

Volubilis, thermes et un arc de triomphe












Vers 439, prise de Carthage en Tunisie par les Vandales, qui, en chassant les Romains d'Occident en font la capitale de leur royaume, loin cependant de la Maurétanie tingitane.


533-534 : avec une puissante armée sous le commandement de son déjà fameux général Bélisaire (à gauche), l'empereur Romain d'Orient Justinien 1er le Byzantin (à droite) vainc les Vandales et les repousse hors de l'Afrique du Nord.

Cependant les Berbères, habitués de fait à une certaine autonomie résistent, se rebellent.



622 : an 1 de l'Hégire. D'Arabie commence la conquête en 640 vers l'ouest ; elle atteint la côte atlantique autour de 705 avec la soumission de tribus berbères.

Dès lors, le Maroc devient tête de pont de la conquête vers le nord et la péninsule ibérique, via le détroit de Gibraltar.


Mais l'immense empire arabe se gère mal. De fortes résistances apparaissent.

5 février 789 : Idriss ibn Abdallah, descendant du prophète - il est le petit-fils de sa fille -, fonde, sous le nom d'Idriss 1er la dynastie des Idrissides et la ville de Fès ; il rassemble les berbères du nord du Maroc.

C'est le 2ème royaume musulman après l'Andalousie à s'émanciper du califat de Bagdad. Dynastie qui éclate ensuite dans les successions.


1061 : des berbères nomades du Sahara occidental prennent possession du Maroc et fondent la dynastie des Almoravides qui se sont appropriés la religion musulmane ; fondateurs de Marrakech, ils conquièrent ensuite l'Andalousie.


Vers 1125 : une autre dynastie de berbères cette fois maurétaniens, les Almohades, musulmans intransigeants et puritains prennent le pouvoir, de l'Espagne jusqu'à la Lybie. Leur plus fameux sultan est Yacoub el Mansour. Mais les chrétiens tentent la reconquête. L'Empire est vaste et se distend.


1269 à 1421 : la dynastie des Mérinides lui succède, et refait l'unité du Maghreb, Nouvelles dissensions ; les portugais s'emparent de certains sites côtiers.


1472 à 1492 : la dynastie des Wattassides qui a pris le relais se heurte à l'apogée de la Reconquête chrétienne.

Après la Reconquista

1578 : les Saadiens, une autre dynastie arabe engage la guerre sainte contre les chrétiens, bat les portugais, prend vers le sud Tombouctou en 1591 et le Mali ; elle s'enrichit en contrôlant de mines de sel, d'or, et en renforçant la traite des esclaves d'Afrique noire.


Vers 1660 : la dynastie Alaouite (descendants d'Ali, gendre du prophète) dont les membres mènent une vie pauvre, méditative et vertueuse prend le pouvoir.


1672 à 1727 : de la même dynastie Alaouite, contemporain de Louis XIV, le roi Moulay Ismaïl réorganise le Maroc, lutte contre les tribus berbères insoumises, les turcs ottomans, les chrétiens. On le surnommait "l'Assoiffé de sang".


L'époque moderne

Avec la peste au début du 19ème et le déclin de l'économie, le Maroc se replie sur lui-même et s'expose aux ambitions européennes d'expansion.


1912 : protectorat français . Lyautey assure le rôle de résident général (gouverneur). Avec un grand respect de l'islam, il se porte garant des valeurs traditionnelles du pays, intégrant dans sa réorganisation les notables locaux. Honoré encore par les marocains, sa situation est particulière dans l'histoire de l'époque coloniale française.

1925 : prédisant "le détachement" naturel du Maroc, il est aussitôt exclu par le gouvernement français.


2 mars 1956 : indépendance du Maroc, sans trop de douleur de part et d'autre, à la différence de l'Algérie par exemple ; ce qu'explique peut-être l'attitude de Lyautey gouverneur.

Les Résidents qui lui ont succédé, moins sagaces, moins intelligents, tentent d'opposer berbères et arabes avec la complicité du Glaoui riche pacha berbère allié de la France, suscitant en réaction l'engagement des USA aux côtés de Mohammed V pour l'indépendance.


Le roi actuel Mohammed VI, son père Hassan II sont les représentants et descendants directs de la dynastie des Alaouites, d'où leur titre de "Commandeur des croyants", qui leur donne une certaine légitimité religieuse dans l'ensemble du monde musulman même encore aujourd'hui.



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