Sur son site escarpé des rives du Douro, Porto s'alanguit en mai. Le dédale des rues au-dessus des quais de la rive nord, le tranquille abandon de la rive sud où l'on déguste les vins en font un site unique.
Moderne aussi, vibrante comme sa sœur capitale au sud, sous les douceurs du printemps avancé, elle se donne à voir.
Carpe Diem et Bom Dia!
1- Les superbes azulejos illuminent jusqu'aux nuits de la ville,...
Haussant le cou en sortant de la station du métro Sao Bento, c'est le 1er choc.
Regard happé par une tonalité lumineuse d’un bleu intense et doux avec laquelle joue la lumière.
Immobiles et fascinants, les azulejos, ces faïences dont l’origine maure se retrouve aussi en Espagne dès l’époque arabo-andalouse, puis croise plus tard les porcelaines hollandaises (notamment celles de Delft), se parent dès la fin du 19ème siècle d’autres tonalités.
Le 18ème siècle est celui des créations les plus riches, sur les thèmes religieux (églises, oeuvres de la rue) ou profanes du siècle.
Puis plus tard avec d'autres oeuvres publiques osant d'autres couleurs plus chaudes.
On les croise au gré de nos parcours avec délectation.
Ainsi, dans un bel équilibre, la façade de l'église baroque des Congregados ci-dessus.
Sur les hauteurs du nord, accolée à l'ancien Pamais épiscopal, la puissante cathédrale-forteresse de la Sé domine presque le fleuve.
Dans son cloître, avant même qu'on les aperçoive, les azulejos irradient les grandes dalles du déambulatoire d'une irréelle lueur bleutée.
Mais ceux qui tapissent en continus certaines parois des murs de la terrasse du cloître séduisent moins malgré l'apport du témoignage de leur époque.
ici avec le clin d'oeil du soleil.
Gothique sous ses hautes voûtes, la nef s'enrichit de torsades baroques et déjà des excès de l'or ramené du Brésil.
Les églises, mais aussi certains anciens palais sont souvent faits d’une pierre de granit gris et dur un peu granuleux, d’aspect extérieur tristounet (est-ce « avoir le Porto triste »?).
Mais elles s'enrichissent de décorations, sculptures foisonnantes chargées, ou bien avec plus de réussite, de ce baroque portugais qui embellit l’encadrement des grandes fenêtres et des portes, en les rehaussant de claires couleurs et d’élégants arguments décoratifs.
On se souvient que le mot "baroque" provient du portugais "barocco"qui signifie "perle irrégulière", ayant donné lieu lors de la Contre-Réforme à des oeuvres souvent trop riches, qui tourneront au rococo.
Mais dont ici les azulejos allègent la lourde opulence.
A l'opposé de la haute de la Tour des Clercs, plus encore que l'église de Congregados, celles des Carmes et des Carmélites unies comme fausses siamoises (la 1ère à gauche de 1650 quand on est face à l'édifice et la 2ème à droite de 1750), d'un baroque presque mexicain, sur la Place Gomes Teixeira en sont un magnifique exemple.
Avec sa très belle fontaine voisine et l'Université toute proche, cette place et celle de Lisbonne qui la jouxte au sud-est est le point de départ d'une ancienne ligne de tramway (celle des "Carmo").
Les étudiants en arts graphiques viennent croquer ici et là.
A l'opposé de la Tour des Clercs sur la colline qui se relève à l'est, un autre bel exemple d'harmonie : la très pittoresque église de Santo Ildefonso (1739).
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Depuis là, vers le nord-est juste au-delà du marché de Bolhao, un autre édifice religieux, la chapelle, celle des Âmes ou de Ste Catherine ne peut manquer d'attirer le regard.
Du 18ème siècle, enluminée de 16 000 azulejos en 1929 qui couvrent 360 m² des façades, très spectaculaire, bellement aguicheuse, elle étouffe sous l'excès de son tatouage de faïences, malgré la splendeur graphique des oeuvres qui racontent avec piété l'histoire de St-François d'Assise et de Ste-Catherine.
Même les bâtiments publics s’en emparent pour illustrer les métiers et les travaux, voire les industries, comme sur les murs extérieurs de la jolie petite gare de Pinhao en amont sur le Douro.
Ou bien sur les hauts murs intérieurs de la gare de Sao Bento (face à la station de métro du même nom), la gare centrale de Porto.
Ses immenses fresques historiques sont de vrais tableaux.
Là, béats, le nez en l’air, on oublie l’appel au départ, on se désintéresse des wagons jaunes, fascinés par le chatoiement persistant des couleurs, la force et la grâce des personnages (style Art Nouveau).
Alors, si l'on se hâte de quitter comme le veut leur fonction nos gares traditionnelles, autant on veut profiter de ce voyage immobile dans la gare de Porto.
Merci pour ses sévères façades extérieures qui gardent jalousement ces richesses enfermées (en tout cas en 2013).
Faïences à la fois décoratives et protectrices des murs sous le soleil brûlant de l'été, elles tapissent aussi les façades privées le long des rues, osant des variétés d'agréables harmonies, des couleurs chatoyantes.
Parfois peintes, plus ou moins entretenues, populaires et libres, nobles ou gouailleuses, ces faïences sous les toits sont à Porto ce que sont les sgraffites à Prague...
... jusque même au décor d'une jubilation libertaire dans le squatt d'une rue.
... mais dans l'ombre se cachent d'autres trésors moins glorieux.
En arrière immédiat de la rive nord, au pied de la place de l'infant Enrique, les azulejos apportent une délicate touche, belle plénitude artistique avec l'église St-Nicolas...
... que toise en face avec condescendance du haut de son escalier parvis la sombre église Sao Fransisco, dénuée d'azulejos.
Adossée à l’un des côtés du Palais de la Bourse vers le fleuve, celle-ci, romane lors de sa construction en 1254, évolue vers le gothique, enfin vers le baroque au 17ème. Elle n’est, de l’extérieur pas très différente de celles que l’on rencontre ailleurs à Porto.
Une fois franchie la sombre porte, le contraste est violent : rutilante apothéose, feu d'artifice, éblouissement d'or qui dégouline (comme le dit très justement le Routard) sur un décor baroque extravagant particulièrement chargé...
... des sculptures de bois couvertes de feuilles d’or (talha dourada). Personnages, allégories, foisonnement de représentations végétales, couvrent jusqu’à la moindre surface, murs, plafonds.
Seul le sol en est exempt ; pour circuler bien sûr, et garder libres le plancher de bois qui recouvre les tombes où gisent les restes des membres de l’ordre.
Au total, même le dévot le mieux disposé hésite entre admiration et écoeurement.
Tout l’or ramené durement et sans vergogne ni pitié depuis le Brésil après la découverte du Nouveau Monde (que se partagent d'abord espagnols et portugais) semble y être ; ici 500 kg dit-on!
Ces indécents excès des fransiscains et des riches habitants qui avaient contribué à la décoration, alors qu’au 17ème la population du quartier vivait misérable, conduisit le clergé à fermer l'église au culte.
L'église Sao Fransisco est celle qui expose le plus de cet or en son ventre-nef, comme un trésor honteux ou les ignobles fastes d'une vieille coutisane, cachés sous son morne granit.
2- Des ruelles, le fleuve sous arche, et les toits
Du haut de ses escarpements, Porto domine le fleuve de 90 à 100 m, lui qui a creusé au long des millénaires cette vallée évasée et profonde qui n'a pas encore là les dimensions de l'estuaire à un peu plus de 3 km à l'ouest, mais pourtant loin des dimensions de celui du Tage, "la mer de paille" à Lisbonne.
Porto depuis les quais aux vins
Sur le lent méandre où se situe le centre ancien, le Douro large d'environ 150 à 200 mètres aménage un panorama unique depuis la rive sud et le quartier de Gaïa (où sont les chais du fameux vin), délimité à l'ouest par l'arche majestueuse du pont de l'Infant Dom Henrique.
La ville ancienne épouse les courbes de la haute colline, densément étagée sur les pentes, et se donne à voir avec une lascivité que lui envie Lisbonne.
Contemplation immobile sous un paisible soleil remonte-sève, symphonie des toits de tuiles, tonalité changeante des façades, clochers et terrasses mouchetées du vert des squares.
L'identité de Porto.
Les toits de tuiles le plus souvent à 4 pans s'infléchissent en pagode à chaque coin avec une élégance légère.
Dans l’air transparent de mai, c'est une douce jubilation, une ancienne ardeur de jeunesse qui oublie l'instant et se moque du futur.
Des mouettes blanches tournoient, et guettent, l'oeil acéré, l'éclat d'un poisson dans le courant, puis se posent et dérivent au milieu du fleuve.
Porto, paisible et glorieuse, s’étire, s’émerveille d’elle-même.
Et contemple, immobile le puissant fleuve qui l’a faite, dont les flots rebroussent au moment des marées et s'assombrissent sous les vents de l'océan.
Les façades regardent, hautaines, la fourmilière qui défile sur le quai nord, celui de la Ribeira, au pied d'un ancien rempart de robustes pierres de granit, percé de voûtes basses qui donnent l'accès à des ruelles à l'arrière.
Le linge exposé, partie intégrante du décor, devient un argument permanent du pittoresque, bien choisi pour ses couleurs vives et ses draps flottant au vent.
Porto depuis la Tour des Clercs
A la pointe sud-est de la Place de Lisbonne, à l'opposé des églises des Carmes et des Carmélites, le clocher-tour de l'église des Clercs (Clerigos) est immanquable.
Qui se détache aussi au-dessus de la ville depuis le quai aux vins.
Mais s'il se visite et se gravit, c'est sans ravir.
Souvent présentée comme l’une des premières attractions de la ville par la vue panoramique aperçue du sommet, (le plus haut clocher du Portugal avec ses 75 m), bien sûr de là-haut, le charme des toits de tuiles est bien présent.
Mais la vue plongeante sur les quelques rues voisines n'a rien d’exceptionnel.
Juste l’occasion de s’abandonner aux divers ocres des toits que parsèment avec un charme sauvage de petits buissons pour chèvres urbaines, par dessus les façades indifférentes.
Sa batterie de 49 cloches en carillons permet le dimanche au sonneur d’interpréter de vraies œuvres musicales.
Un architecte toscan, Nicolas Nasoni a conçu l’ensemble église et tour achevé en 1763, dans le plus pur style baroque, tout de granit gris. Mais par manque de moyens abandonna le deuxième clocher envisagé.
Tour à tour télégraphe, horloge de la ville, elle sonnait midi grâce à la détonation d’un petit canon à poudre et alertait par un drapeau-fanion de l’arrivée d’un paquebot à la Ribeira.
Le même architecte a réalisé aussi le palais épiscopal, cet immense et monumental bâtiment qui jouxte la cathédrale Sé.
Alors qu'au loin, de l’autre côté du Douro, la perspective écrasée gomme le fleuve et souligne le dôme de tuiles et les murs blancs de l’ancien couvent de Nossa Senhora da Serra do Pilar.
Vers la Ribeira
Le pittoresque de Porto, ce sont aussi les panoramas sur le fleuve, les escaliers en ruelle à l’ombre de recoins plus secrets...
Depuis les hauts de la rive nord en descendant vers le fleuve, la place pentue de l'infant Enrique (Henri) est un repère.
Né à Porto, on l'appelle aussi (dans sa maturité) Henri le Navigateur pour avoir été dès le début du 15ème siècle, l’un des principaux instigateurs de la découverte du monde avec les fameux marins aventuriers portugais comme Vasco de Gama vers la fin du même siècle.
L'ancien marché de métal et de briques, le Mercado Ferreira Borges domine la place et s'aperçoit même de la rive sud du Douro. Aujourd’hui un édifice dédié à des expositions et des manifestations culturelles.
Dans les pentes qui mènent au fleuve, les dédales, les rues étagées, les sombres et étroites ruelles, les coulisses des restaurants, sont une vraie découverte où s'imposent l’ocre et l’orangé.
Charme de passages de dalles inégales, surprise de passerelles et d'arches, anciennes poutres décrépites, ex-votos baroques, dans le silence d’une ombre fraîche où quelques vieillards s’affairent derrière leur porte sans se soucier de l’étranger.
Où parfois même on confond voie publique et corridor privé.
Depuis ces arrière-cours, voici les quais de la Ribeira et sa place inondée de soleil.
Mais envahie et assez dénaturée par les tables, les chaises et les parasols de plusieurs cafés et restaurants. Pour les touristes dont les pas piétinent et patinent de petits pavés inégaux.
La charmante façade blanche baroque de la petite église St Nicolas apporte là une touche rafraîchissante.
Après la place, les quais longent vers l'ouest les vestiges des vieux remparts de pierre, jusqu’à cet arc métallique monumental qu’est le pont Dom Luis 1er.
D’une seule arche de dentelle métallique et deux niveaux de passage, il achève d’être construit en 1886 par un élève de Gustave Eiffel, Theophil Seyrig.
Il remplace un pont suspendu (1843), dont les pylônes ont été conservés sur la rive nord, succédant lui-même à un ancien pont de bateaux construit en 1806.
Le métro emprunte le plateau supérieur, lentement, comme pris de vertige (il faut ménager les vénérables infrastructures), d’une portée de 395m, 45m au-dessus du fleuve.
Le plateau inférieur est un passage routier de 174m de long.
Les piétons peuvent traverser le fleuve par le haut ou par le bas.
Eiffel lui-même, déjà avec l’aide de son élève, a construit en amont en 1876 le pont métallique Maria Pia (de Savoie) qui était dédié au seul passage des trains, avec un tablier de plus de 350m, 60m au-dessus du Douro.
Tramway vers l'embouchure
L’embouchure du Douro, voisine de 3 km, évase les hautes collines quand on s’approche de la côte.
La brume masque la puissante houle océanique, et estompe le phare falot au bout de la jetée. Les vents d’ouest étirent les nuages versatiles.
Un très plaisant moyen d'atteindre ce bout de monde est le pittoresque vieux tramway des années 30-40, parfaitement entretenu.
Moins aventureux et grinçant que ses nombreux cousins de Lisbonne, depuis le centre ville dont il gravit encore allègrement les pentes, il nous conduit vers l'embouchure, plan-plan dans sa robe beige-roux (café-vanille?). Destiné surtout aux touristes, les portuans l'empruntent volontiers.
En 2013, aux carrefours de la ligne, le wattman arrête le tramway et sans hâte en descend lui-même pour changer l'aiguillage.
Mystères vers l'embouchure, sur l’autre rive, le brume découpe la silhouette fantomatique d’un château qui se prend pour un manoir écossais au-dessus d'un loch, alors qu'un voilier devient celui du Hollandais volant. Plus loin, le Fort St-Jean-Baptiste (16 et 17èmes siècles).
Enfin une originalité incontournable, la librairie Lello, une librairie folie
Il est une façade blanche art déco, étroite et haute de deux étages qui passerait presque inaperçue en descendant depuis la Tour des Clercs, si on oubliait de consulter les guides.
C'est la très remarquable et très fameuse Librairie Lello.
Un peu avant 10h chaque matin se forme sur le trottoir une petite queue de visiteurs.
Heureux hasard ou habitude, ce matin-là, une femme de ménage nous ouvre la porte vers 9h 45, avec toute liberté pour prendre des photos à l’intérieur, ce qui dès 10h devient formellement interdit, même sans flash.
Là, c’est une richesse de décoration des plafonds, des vitraux 19ème, et surtout un escalier central conçu comme deux spirales s’évasant, parfaitement symétriques, d’une élégance et d'une audace architecturale époustouflantes. Enthousiasme délirant d'un architecte inspiré.
Au 1er étage les ouvrages sont transportés dans un wagonnet sur rails.
Mais Porto recèle bien d'autres trésors touristiques, entre ses chais réputés,
qu'alimentent en amont du Douro ses quintas où le vin est un art,
la marché couvert de Bolhao,
les façades Art Nouveau de quelques magasins anciens dans le même quartier,
et à l'extérieur immédiat le jardin du Palais de Glace
avec son musée du Romantisme,
ou encore dans le parc de Serralves, le grand musée d'Art contemporain, la Casa de Serralves et son architecture pure Art Déco.
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