A la frange ouest de la Sologne, presque sur le même méridien que Blois, à 36 km à vol d'oiseau vers le sud, voici sur le Cher, séduction moderne, le zoo-parc de Beauval en juin 2021.
Cédons un peu aux pentes faciles de l'anthropomorphisme.
Près du village de St-Aignan que domine son puissant château, d’étranges cohortes de grands primates au drôle de museau et leur progéniture, le corps curieusement couvert, bruyants et agités défilent, fantasques bipèdes, dans les allées d'un vaste périmètre fermé.
Quant à eux, les pensionnaires permanents s'amusent à peine de ces passants turbulents, auxquels le plus souvent ils restent indifférents, qu'ils boudent, s'enfonçant parfois dans la neurasthénie, voire une déprime totale comme ce tapir affalé.
Certains d'entre eux s'amusent de ces êtres étranges qui circulent ; à l'esbroufe, ils tentent d'attirer leur attention avec quelque pantomine chorégraphiée de leur cru, qui recueille un franc succès.
Claustrophobes, régulièrement nourris et donc sans nécessité de se battre pour assouvir la faim, déracinés et résignés, chacun tente de s'adapter.
Un koala fait la tête et broute méticuleusement ses feuilles d'eucalyptus, mais se félicite de n'avoir pas péri comme d'autres de ses congénères dans les incendies du sud-est australien en 2019 et 2020.
Pourtant, le fumet délicat d'un koala rôti...
Rhinocéros, zèbres et antilopes rejouent pour les passants avec un grand sens de l'esthétique la séance d'abreuvoir autour d'un pseudo-marigot.
Une ânesse aux yeux fardés et son ânon s'abritent dans l'ombre d'une paillotte, pattes zébrées. Car, secrète histoire de famille longtemps tue, l'une de ses belles aïeules a jadis fauté avec un zèbre séduisant et impétueux.
On dit que l'éléphant a une mémoire prodigieuse,... une mémoire d'éléphant.
Pour celui-ci, sûrement très âgé, c'était avant.
Là, il a dû faire un noeud à sa trompe pour se souvenir d'on ne sait quoi. Mais zut! Impossible de défaire le noeud... ni de se souvenir du "on ne sait quoi".
Un tigre blanc (de Sibérie?) tourne lentement en rond, majestueux, très justement fier de son pelage et de la clarté de ses yeux.
Mais quand il se retourne, m'a-tu-vu, pour un portrait que réclament les passants, un seul oeil est clair, l'autre semble borgne, ou bien louche à la manière de son vieux cousin le lion Clarence des années 60.
Repu de bambous, le mâle du couple de pandas géants obligeamment prêtés par la Chine en 2012, digère.
Après avoir vaillamment procréé une fois en 2017, il s'étire là, et laisse respirer sa nature, ou ce qu'il en reste, dans son antre climatisée et sur mesure qui simule un peu les fraîcheurs de ses montagnes originelles, mais ne stimule rien d'autre.
C'est pas beau de se moquer comme ça : deux bébés sont nés le 1er août 2021...
Leur premier enfant déjà mature (4 ans), né ici et déjà mieux adapté, se balade à l'extérieur sur les pelouses tondues, va s'hydrater de temps en temps dans la bienfaisante brume d'une chute d'eau sur mesure, et ronge son frein, et ses bambous.
Quand il se fend d'une crotte bien formée, elle est jaune citron couleur moëlle de bambou ; puis fatigué et repu de ses 20 à 30 kg quotidiens de bambous ingurgités, il s'affale.
De lourds et énormes lamantins jouent aux sirènes, et planent avec grâce dans l'eau bleutée d'un bassin, aussi agiles qu'otaries, pressés de démentir le préjugé de leur corpulence. Hé hé, la preuve qu'on peut être gros et beau.
Dans un vaste bassin extérieur, des manchots très adroits, incroyablement agiles, jouent sans cesse dans l'eau verte, vifs comme des martinets chassant les insectes dans le ciel, presque les seuls à ne pas sembler pâtir de leur enfermement. Stupides inconscients qu'on nomme ailleurs "imbéciles heureux".
Enfin la question-mystère : quels sont donc ces êtres étranges, masqués et fantomatiques qui déambulent mystérieusement dans l'eau? Pendant que d'autres, entubés, hissent le drapeau blanc?
Espace clos, restreint, mais gîte et couvert assurés ; comment pourtant nommer autrement que « prison dorée » ces réclusions-là ?
En tout cas voici un très bel empire, moderne, commercial, spectaculaire.
Ses atouts sont la beauté du zoo-parc, le pittoresque de son aménagement, la pertinence de la véritable mise en scène d'animaux extrêmement divers dans une infime parcelle reconstituée de leur milieu naturel.
Les plus récentes "attractions" sont aujourd'hui un vaste dôme qui maintient une atmosphère tropicale, et un parcours en télécabine conçu pour survoler l'ensemble du parc...
Le parc qui tire aussi parti du relief accidenté des courtes collines et de creux vallons (n'est pas beau val pour rien).
Autour des pontons de bois, ce sont de vastes aquariums, des bassins, des décors de temple chinois dans le quartier des pandas géants, d'amples volières, des vivariums, des terrains cernés par de hauts remblais, des douves infranchissables ou des palissades.
Son ambition : une très grande diversité d'espèces présentées et la rareté de certains des pensionnaires. De quoi captiver et ravir les petits primates et amuser les grands.
Beauval se réclame en effet de 800 espèces et 35000 animaux, sur un espace de 40 ha.
A ne surtout pas comparer par exemple au zoo boréal de St-Félicien au Québec, 485 ha pour 80 espèces et un millier d'animaux.
En terme de bien-être animal, inutile de chercher l'erreur.
En tout cas, l'originalité de certaines espèces présentes est certaine.
Quelques exemples : outre le trio vedette des pandas géants, il faut avoir vu les peluches vivantes que sont les duveteux koalas, ou deux paresseux trop discrets et très bien dissimulés,..
de très véloces tatous nains, mini-blindages préhistoriques, édentés qui filent, affairés, sans repos ni répit comme des âmes damnées,...
le noir et rétif diable de Tasmanie, faux cousin du carcajou glouton des pays boréens...
les coatis queue basse et museau pointu, de ceux qu'on découvre libres et surprenants dans la nature, notamment au Costa Rica...
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... un poil de plus sur les coatis
En circuit au Costa Rica en février 2016, sur le chemin vers le lac Arenal, de curieux animaux au bord de la route.
Longues peluches élégantes au nez pointu terminé par une trompe mobile, la queue annelée souvent dressée comme celle des lémuriens, ils se baladent paisiblement, libres, peu effrayés par les touristes dont ils savent qu’ils n’ont rien à craindre.
Le coati, cet étrange animal laisse l’homme s’approcher à portée de main presque comme un chien cherchant la caresse, et dont il a d’ailleurs l’œil soumis mais fureteur et peut-être la docilité.
Il appartient à une famille proche de celle des ratons laveurs. Au Costa Rica, c’est la variante dite « à nez blanc ».
Long de 80 à 140 cm, dont la moitié pour la queue, son poids moyen est de 4 à 5 kg. Les pattes, terminées par de fortes griffes sont capables de creuser le sol. Il se déplace au sol en posant complètement le pied à la manière d'un plantigrade.
A la fois diurne et nocturne, omnivore, il se nourrit d'insectes en grattant le sol avec ses longues griffes non rétractiles et son nez. Chapardeur, il adore aussi les fruits, les baies, le pain, les graines et parfois de petites souris.
Bon grimpeur, il se déplace aisément dans les arbres et peut inverser la position de ses pieds par rotation des chevilles à la manière des petits rats de l’Opéra... en beaucoup mieux, ce qui facilite la descente de l'arbre la tête en bas.
Très social, il vit en bandes de 5 à 10 individus, formées presque toujours uniquement de femelles et de jeunes mâles.
Les spécialistes indiquent qu’en Amérique centrale, ils doivent leur survie et leur pérennité à leur grande taille qui éloigne les iguanes, les petits chiens errants, les chats et surtout les ratons laveurs, qui s'effacent à leur vue et leur laissent l'accès à l'eau. Ils sont souvent sur la défensive.
Un mot sur le « coati cafetière ».
L’un des plus chers cafés du monde, le café péruvien « Misha » provient de la digestion par les coatis de grains de café à l’état naturel. C’est la variété rousse de coati (peut-être celle de Beauval? ), pas celle du Costa Rica.
Les sucs gastriques de l’animal gomment l’amertume en dissolvant l’enveloppe mais n’attaquent pas le grain lui-même, indigeste pour l’animal.
Après avoir été déféqué, le suprême crottin est TRES BIEN nettoyé puis torréfié pour délivrer l'ineffable, le succulent nectar, tout de rondeur, de longueur en bouche et d'arôme puissant, si, si!
Café célèbre connu du gratin mondial, il est né de l'interdiction faite par les colons aux petits agriculteurs locaux de consommer leur propre récolte ; ceux-ci découvrent par hasard la qualité des "cerises" rejetées dans les excréments de certains animaux après qu'ils les aient ingérées, vers le début du 17ème siècle.
Avec le chat de la voisine, un iguane, ou un putois, ne pas s'attendre à autre chose qu'un immonde jus de chaussette.
En Indonésie en tout cas, autre "cépage", c’est la civette (luwak dans l’idiome local), qui donne le café « Kopi luwak », encore plus réputé que le « Misha ». L'opossum fait aussi l'affaire.
Quand même plus facile à la maison de placer la capsule dans son alvéole, que de soulever la queue du coati.
Et puis, au prix de 200 à 400 €/kg, soit 70€ la tasse, what else???
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On voit aussi à Beauval le plus gros rongeur du monde, le cabial (ou capybara), la tête un peu comme celle d'un (tout petit) cheval...
et un autre rongeur plus petit, assez laid, l'agouti (non, non, ce ne sont pas des wallabies ou de mini-kangourous),
tous deux rencontrés dans le passé en liberté en milieu semi-urbain de Playa del Carmen au Mexique,...
nos frères et divertissants lémuriens, les tapirs avachis et les okapis nerveux, oreilles frémissantes...
une panthère des neiges accablée de chaleur, mais qui reste altière...
et quelques oiseaux remarquables, flamants roses, pélicans blancs, toucans, et bien d'autres dont les noms échappent à notre mémoire et nous réjouissent l'oeil. Sans pour autant qu'ils soient tous en voie de disparition.
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Beauval est le 4ème ou 5ème dans le top 5 des zoos du monde.
La compétition est rude. Elle s’habille de nobles et justes causes (sauvegarde et perpétuation d’espèces en voie de disparition, beaux leviers pédagogiques illustrés sur pièces, mais pas en vraie dimension bien sûr…) pour attirer les visiteurs alertés des conditions de vie des pensionnaires dans d’autres zoos.
On sait bien sûr ce qu’il est advenu de Blois dans l’histoire ; qui sait ce que deviendra Beauval dans notre moderne époque ?
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