lors d'une boucle entre Las Vegas et Moab autour du grand fleuve coloré, en août 2018, voici enfin le maitre incontesté, le Grand Canyon.
Immuable dans sa fantastique et muette majesté :
le plus fort choc émotionnel
A Tusayan est notre hébergement, un Holiday Inn qui sent un peu l'huile de friture usée, un hôtel encombré. Le monde entier qui se hâte semble se retrouver là.
Pressés par notre circuit, mais aussi impatients de découvrir le monstre somptueux, par la route 64 vers le nord, nous voici à 2000 mètres sur le plateau de la rive sud du grand fleuve (le "south rim"), dans la forêt de Coconino.
On y retrouve les mêmes antilopes aux longues oreilles qu'a Bryce Canyon.
Puis, un belvédère.
Et là, le choc,... qui se renouvelle sans s'émousser au prochain belvédère, puis au suivant...
Mutisme total devant l'incommensurable majesté.
Le silence est absolu, sidéral.
Une émotion primale, plutôt que le "souffle coupé", trop petite expression qui manque... de souffle.
On savoure au contraire à grandes respirations ces inconcevables et mythiques panoramas.
Et pourtant -nom de dieu!- rien de divin, ni qui ne soit accessible par nos sens les plus concrets (au moins la vue et l'ouïe).
Car il ne s'agit ici que du résultat d'une demi-douzaine de millions d'années d'érosion (dixit l'UNESCO) du fleuve Colorado à travers l'épaisseur du plateau éponyme, qui lui-même fait le gros dos, se rehausse lentement depuis une grosse trentaine de millions d'années.
Ce sacré très profane qui s'empare de l'homme, c'est l'admiration spontanée et totale qu'il éprouve dans la nature pour le démesuré, le fastueux, pour la puissance immobile, pour ce qui dépasse en beauté l'imaginable.
On comprend la vénération qu'il a pu susciter de la part des âmes simples et profondes comme celles des amérindiens des origines, depuis les 350 siècles qu'ils sont présents sur ce continent en provenance d'Asie.
La spiritualité et la culture navajos s'intègrent dans cet environnement grandiose, hostile et inévitable dont il faut s'accommoder et tirer parti, sans chercher vainement à le combattre.
Et on s'étonne à peine de la stupéfaction qu'un tel spectacle crée dans l'esprit des urbains un peu condescendants, aussi amoureux soient-ils du béton vertical des méga(lo)poles.
Le visiteur n'est plus seulement spectateur, comme à Bryce Canyon ou à Upper Antelope Canyon.
Il est une partie, un fragment de ce bout d'univers qu'il contemple, qui le grandit et qu'il croit comprendre et posséder.
Il appartient à cette grande harmonie.
Là, sous ses yeux, en un instant se contractent le temps et l'espace.
Cette très longue, très profonde et admirable balafre terrestre de presque 450 km de long, visible de la Lune, résulte d'environ 6 millions d'années d'érosion.
Sans commune mesure avec une vie d'homme.
D'une pharaonique oeuvre humaine, celle des pyramides égyptiennes, Napoléon, qui n'était encore que Bonaparte aurait dit à son armée : "... du haut de ces pyramides, 40 siècles vous contemplent!".
Du Grand Canyon, oeuvre d'érosion naturelle à laquelle l'homme est forcément étranger au moins jusque-là, c'est environ 60 000 siècles que les Navajos contemplent, impassibles, et moqueurs envers ces visiteurs qui s'étonnent de tout et de rien.
Sait-on au fait comment s'exprime la moquerie pour le Navajo ? L'évidence pour l'observateur : un très léger plissement de la paupière gauche et quelques cils qui frisent, derrière les verres de soleil.
Là c'est notre guide Daniel, très expressif, et très pro à Monument Valley. Merci Daniel!
En tout cas, 60 000 siècles, c'est du très long comparé à la pichenette égyptienne.
D'un côté, la nature souveraine s'impose au fil de longues ères. Le hasard, la nécessité, les lois physico-chimiques, et tectoniques s'exercent irrésistiblement et sans discontinuer.
De l'autre la volonté inflexible de pharaons et d'architectes antiques adorateurs de Râ a permis d'ériger la plus grande des pyramides en quelques décennies, un instant dans l'échelle géologique.
Une oeuvre naturelle gigantesque en constante et lente évolution, et une construction humaine d'à peine 150 mètres de haut, qui semble figée et indestructible, minuscule à l'échelle planétaire.
Et pourtant l'une et l'autre admirables aux yeux de l'homme.
Le Grand Canyon, presque 30 km d'un bord à l'autre dans sa partie la plus évasée, se rétrécit parfois à 5 km de largeur.
Il s'étire en sinuant sur 446 km entre Lee's Ferry (au sud de Page) et Grand Wash Cliffs, autrement dit entre le lac Powell et le lac Mead.
Sa profondeur atteint 1600 mètres sur une portion de 16 km ; le "minuscule" Colorado tout au fond est large de... 90 mètres.
Au-dessus plane un oiseau de proie, qui tournoie, et de son oeil aigu mate les recoins, guette un mulot, un écureuil fatigué, un crotale paresseux, puis s'enfonce dans les profondeurs, s'élève à nouveau, disparaît derrière une mesa.
L'harmonie des couleurs du fabuleux abîme, moins crues que dans le grès seul, est douce, d'une extraordinaire variété.
Sans jamais laisser place à l'uniformité.
Ombres et plateaux, rochers arasés, les contrastes qui renforcent au premier plan les volumes et les distances finissent par s'estomper au loin.
Impossible en tout cas d'essayer de rendre l'infinie et saisissante splendeur par la photo, ni même par les clichés les plus pros...
En tout cas, c'est ce dont on est absolument convaincu au prime abord.
Mais il est si facile de cadrer, d'appuyer comme un forcené sur le bouton, de mitrailler. Ce que, en grand couillon, je ne peux m'empêcher de faire, et d'assumer.
Bien sûr en vain, car l'image, triviale, ne rend jamais l'impression magique de contemplation in situ.
Quoique...
Poursuivant plus vers l'est le long de l'abîme toujours sur la rive sud, voici un autre point de vue, l'ultime, le "Desert View Watchtower".
A partir de là, le Colorado en amont s'infléchit franchement vers le nord. La magie du somptueux et du grandiose laisse place progressivement à un pittoresque encore fortement attractif.
Cette tour ronde en marque la limite, qui serait faite de pierres dans le vrai style indien, celui des anciens Peuples Pueblos, mais de taille beaucoup plus monumentale.
C'est une moderne architecte US, Mary Colter qui l'a dressé en 1932.
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