La Suisse, îlot continental?
La Suisse, dans mais hors de l'Europe.
Ah! La Suisse!.. Derrière les murailles de son relief est-elle la secrète salle des coffres-forts du monde que l'on dit ?
Ou l'héritière de la fameuse méticulosité horlogère dont les rouages ne dissimulent rien ?
Peut-être une clé : à part le Japon, quel pays a érigé la propreté à ce niveau d'exigence, reléguant les pays même les plus exemplaires au rang de dépotoir?
Ainsi les toilettes suisses.
Jusqu'au fond des cantons, le moindre petit coin helvète semble avoir subi l’assaut d'un Guillaume Tell sanitaire dont ne réchappe aucun microbe, aucun virus (mais le COVID est venu), aucune bactérie,... une salle blanche d’hôpital.
Mais dieu soit loué (cer s'il existe, il ne s'achète pas, même en francs suisses), pour entrer là, pas de charlotte ni de surchaussures jetables ; la froide rigueur s’adoucit de carrelages et de faïences aux délicats motifs, de chaudes boiseries aux belles harmonies, de fragrances entêtantes et subtiles.
Les toilettes suisses : une pièce à vivre, un refuge de bien-être, le bonheur des solitaires.
Un summum de confort dans une quiétude dénuée d’inutiles introspections.
Mais pas d’extrapolation hâtive. Ce douillet isolement n'explique pas à lui seul l’isolationnisme confortable et prospère de la nation helvète.
Car la Suisse est prospère, d’une prospérité qui ne se partage pas. Une réussite si persistante qu’on ne peut manquer de la constater.
Entre 2010 et 2021, son PIB/habitant semble être passé du 4ème au 2nd rang mondial quand la France est reléguée du 18ème au-delà du 20ème.
Mais avec le coût de la vie le plus élevé au monde après la Suède, d’après le très fameux et très sérieux indice Big Mac. Heureux frontaliers français qui y vont travailler : salaire suisse, coût de la vie français.
Traditions, folklore et pouvoir local
Cantons et communes entretiennent beaucoup plus qu’un folklore de village, une affirmation du pouvoir local célébré avec solennité, lourd de représentativité et de responsabilité assumées.
En Valais, voici donc les défilés de la Fête-Dieu.
A Sion, la capitale du Valais, le monsieur en civil fait répéter ses troupes (tous bénévoles) et s’assure avec sévérité de la bonne tenue, du synchronisme, des cadences, des alignements.
Parmi les spectateurs du déflilé le 23 juin à Savièse, un petit suisse étonné retient toute l'admiration de sa petite amie.
Un ancien des années 70, bien sanglé dans son uniforme et coiffé à l'étroit d’un casque rappelant celui d’anciens agresseurs voisins esquivés par neutralité, défile, le pas précautionneux.
Merci cependant à la Suisse qui fin février 2022 met de côté sa neutralité face à l'agression de l'Ukraine par le minable petit tsar assassin, Poutine!
C'est aussi l'émouvante candeur d'une fillette dans sa robe blanche traditionnelle décorée des fleurs des montagnes.
Un jeune garçon plein de santé sous son beau bicorne à cocarde, mollet cambré, parade, réjoui, devant les jeunes filles qui n’ont d’yeux que pour d’autres.
Et voici ceux qu’on appelle les «gardes suisses», ici la «garde papale», rappel des mercenaires que l’Helvétie envoyait en Europe et notamment au Vatican dans le passé.
Le versant nord de la vallée du Rhône, bien exposé au soleil, produit notamment un vin de qualité, le superbe « fendant » (le grain gonflé se fendrait sous la pression des doigts).
Fruité, son goût l’apparente au Sylvaner. Mais son cépage (parmi les quelque 200 autres du coin) n'est autre que le chasselas. Car exporté vers le 17ème siècle en France dans le village de Chasselas près de Mâcon, il en reprend le nom, surtout connu pour sa fameuse déclinaison en raisin de table vers le lointain sud-ouest du côté de Moissac.
Est-ce ce nectar qui a patiemment contribué à enluminer la trogne de ce farouche militaire, coiffé d’un casque emprunté à plus grosse tête que lui?
Plus bas encore, le lent défilé à la manière de nos légionnaires mêle, main droite à la hanche, jeunes garçons fiers de leur uniforme et vieux sapeurs au rictus voltairien (Ferney n’est pas si loin).
Enfants couronnés, tête étoilée ou ceinte d’or et tout de blanc vêtus, charmants chapeaux sombres de dames au profil trop sérieux, le col fleuri des fleurs d’été.
Un brigadier chef (?) vacille, stoïque, sous le poids de son monumental chapeau de grappes et de plumes arc en ciel en panache qui rappelle celui des porteurs d’eau berbères de la Place Jemaa-el-Fna de Marrakech.
Tant qu’elle est extra-hexagonale, le français ironise avec désinvolture sur cette sorte de célébration, ici en costume Premier Empire (sauf la garde papale), étincelante de cuivres bien fourbis.
Sarcasmes goguenards de gaulois frustré, jaloux de la votation suisse et de sa démocratie directe, de son insolente prospérité, alors même qu'il doute de son Etat centralisateur et reste nostalgique d’identités locales anciennes, tout en saluant les bienfaits de l'euro.
Splendeurs alpines suisses
L'Europe est irriguée par les Alpes suisses. Pour autant, la Suisse n'est pas le petit coin de l'Europe, et sait bien contrôler ses flux (cf le barrage de la Grande Dixence).
En tout cas, la splendeur de l’été se savoure en majesté dans le Valais, sur l’axe est-ouest du Rhône, qui alimente le Léman avant de déboucher en France.
Zermatt
Zermatt se réclame déjà en 2011 de la protection de l’environnement : on laisse la voiture dans le village de Täsch, pour un train navette qui atteint Zermatt en 20mn.
Dans sa majestueuse vallée, elle semble être faite pour tous les touristes du monde, inévitables japonais inclus (avant Covid). On n’y circule qu’à pied, à vélo, en calèche tiré par des chevaux, ou bien en petites voitures électriques, insipides boîtes vitrées dont les batteries se rechargent sur des bornes ad hoc.
Zermatt, ville touristique, conserve cependant des raccards habilement reconvertis en hébergements pseudo-rustiques.
Mais c'est sur les superbes pentes dominant la vallée qu'il faut rechercher dans les hameaux les beaux toits de lauzes, irrésistible charme de l'authenticité.
De là, le mont magique, le Cervin, 4478m (le Matterhorn en allemand) se devine. Car ce jour-là, exhibitionniste, il enlève le bas … mais pas le haut.
Sas Fee
Une vallée plus loin voici Sas Fee, surplombé par son glacier massif.
Le village, moins envahi, est paisible, plus authentique, avec ses raccards de partout.
Puis avec le téléphérique de l’Alpin Express, montée jusqu’à Felskinn. Depuis ce terminus en plateau, c’est le « métro alpin » : dans la montagne percée d’un tunnel à 45°, un funiculaire tracté par de robustes câbles monte à 3500 m.
A la sortie, éblouissement des neiges éternelles dans un cirque de 13 sommets à plus de 4000m. Le glacier de Fee domine la vallée. Sur une vaste plateforme au milieu de la neige est installé le plus haut restaurant panoramique tournant du monde.
Le plus proche sommet vers lequel des skieurs d’été se dirigent est l’Allalin (4027m).
Même pas froid, Marlène est en short. Un caniche de luxe pose délicatement ses coussinets proprets sur la neige et ne laisse rien d’autre derrière lui que l’empreinte de ses papattes…, un vrai caniche suisse, féru d’écologie canine.
Vers l’est, magnifiques profils bleutés d’autres sommets d’arrière-plan.
Muette contemplation, avant la visite du Pavillon des Glaces, une grotte de 5000 m² creusée dans la glace : informations pédagogiques, quelques œuvres d’art, d’anciens équipements d’alpinistes, et des sculptures de glace démoniaques ou un Mickey caricaturé ; l'enfer dans la fraîcheur de l’ombre glacée.
Riederalp
Sur le versant nord cette fois.
Pour parvenir à la station de télécabine, suivant étourdiment un 4x4 indigène sur un chemin de traverse, les pentes sont si raides et les lacets si aigus que le retour à l’horizontale est un soulagement.
La télécabine bien plongeante rassure par sa modernité. Puis un télésiège.
Dans le ciel limpide, des passionnés de vol à voile et de parapente décrivent des arabesques paresseuses au gré des des vents.
Opportune clarté des sommets qui permet enfin d’apercevoir le Cervin, de l’autre côté de la vallée, lointain, dans sa totale et orgueilleuse splendeur.
Riederalp, joli village en balcon (replat), en contrebas du plus étendu des grands glaciers d’Europe, l’Aletsch.
Somptueux et puissant, il s'encaisse dans son lit sinueux en auge, et gronde dans ses flancs de torrents dévalant de toutes parts.
Le pic de la « jeune fille « (le JungFrau) restera hors de notre vue.
Rhododendrons en fleurs, paysages sereins de montagne d’été apaiseraient les esprits les plus torturés.
A l'ouest au-dessus du village, un lord anglais, le financier Sir Ernest Cassel a fait construire au tout début du 20ème siècle un superbe manoir néo-victorien, et s’y est tant attaché qu’il y a fait monter à dos d’âne (ou d’homme?) un piano à queue!! Et y invite le jeune Wiston Churchill.
C’est la Villa Cassel. Aujourd'hui un lieu réputé d’excellence. Panorama d’une beauté remarquable, d’où l’on voit le Cervin.
Dans le passé, les habitants vivaient ici une majeure partie de l’année en isolement complet, sauvages des montagnes, papous des autres suisses, papous des glaciers. Ils seront dérangés par ces incompréhensibles et futiles étrangers, montés là pour le seul plaisir de l'air pur et de l'émerveillement des paysages.
Val d’Hérens
Au sud de Sion, le Val d’Hérens.
Là est un village aux chalets, maisons, raccards presque tous de bois, joliment décorés. L'un des plus beaux du Valais, Evolène que surmonte au nord le pic en tétraèdre du Sassenerre (plus de 2850 mètres).
Toits de lauze, parcelles fleuries clôturées de palissades de bois charment la rue centrale.
Sans prétention, avec un soin minutieux de la présentation, les façades de certains raccards présentent d’anciens outils agricoles. Des maisons se parent avec une précision méticuleuse de trompe-l'oeil, de motifs floraux empruntés à la flore alpine.
En remontant encore la vallée vers le sud, un petit lac au terme de 200m de dénivelé depuis un hameau appelé les Gouilles (non, ma langue de fourchera pas…) est un petit paradis de couleurs, le Lac Bleu le bien nommé, d’où les vallées enchantent la vue.
Les robustes petites vaches de cette région, robe noire, cornes courtes et enlevées, sont réputées pour leur tempérament belliqueux ; on les dit même caractérielles. Des combats réputés sont organisés d’où sort la Reine d’Hérens, championne du Val, orgueil de son propriétaire.
En plein casse-croûte sur une pente herbeuse, nous voici surpris par une volée de sonnailles. Folâtres, elles sont poursuivies par un vieux paysan buriné et agile.
Puis soudain en voici de f(o)ugueuses qui dévalent en trombe autour de nous, immobiles et pas fiers ; dans la poussière soulevée, elles viennent allègrement d’arracher une barrière électrique.
La route sinueuse traverse les Pyramides d’Euseigne (le lieu dit), une crête calcaire étroite de « colonnes coiffées » issues d’érosion de moraines anciennes, comme l’échine d’un monstrueux dinosaure.
A leur pied paissent des chèvres, œil aigu et barbiche blanche, qui philosophent derrière leur paupière lourde.
Cry d’Er
Cette fois au-dessus de Crans-Montana, d’un plateau accessible en télécabine, voici une petite randonnée un peu fraîche, pour parcourir un sentier en balcon : superbes panoramas sous ciel presque couvert.
Après que notre sentier ait franchi des fractures verticales (diaclases) appelées à s’effondrer un jour et que nous ayons été doublés par un adepte du VTT montant à pied, mollet solide, vélo plié porté sur le dos pour des descentes de folie, voici nos premières marmottes, suisses, sifflement bref et puissant (sans accent) quand approchent les intrus.
Une vieille marmotte frileuse se réchauffe sur une terrasse rocheuse très horizontale.
Saisissants paysages de plus en plus minéraux, où se nichent d'incroyables bouquets sauvages.
Au retour à la station de télécabine, des voix (anglaises) à flanc de montagne. Un escaladeur à l'entraînement?
Non, deux dames, descendues on ne sait comment sur une corniche étroites, bloquées là, incapables de remonter ni de descendre.
Et qui à juste titre n'appécient guère d'être photographiées.
Le chef de station, alerté, a fait appel à un hélicoptère pour les secourir, depuis Sion à 30 km. Coûteux sauvetage. Alors que l’ombre envahit la paroi, l’engin claquant de ses pales entreprend avec sa nacelle le sauvetage en point fixe.
Val d’Anniviers
Ailleurs, ce sont de très beaux villages dans le val d’Anniviers, notamment l’un des plus hauts villages habités d’Europe, Chandolin, (1936m) d’où les vallées abimes semblent sans fond. Mais quid de St-Véran en Hautes-Alpes, 2024m ?
Puis Grimentz avec ses magnifiques raccards (depuis 1550) et chalets anciens et modernes, balcons fleuris de partout, toits de lauzes de bois.
Jusqu’aux bouches d’incendie décorées et embellies, et aux croix du cimetière protégées par une sorte de toit en V rappelant celui des chalets.
Caractéristique nationale déclinée dans les régions les plus reculées, la célébration des valeurs du passé se manifeste par la manière de décorer les maisons anciennes, les chalets les plus récents, d’exposer les outils agricoles ancestraux, par la façon réussie de restaurer les bâtiments anciens dans un cadre réglementaire extrêmement strict.
Exemple : le raccard.
Cette petite construction de bois sur piliers servait de grenier ou de remise. Tout comme les fustes dans les Hautes-Alpes.
Isolées du sol par un espace libre sous le plancher, les récoltes stockées se trouvaient protégées de l’humidité mais aussi des rongeurs grâce à la pierre plate circulaire supportant le raccard, modeste ou imposant, au sommet du pilier.
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