avec plus de caractère, un peu notre Toscane à nous,
fin juillet 2021
A l’est de Carpentras s'aperçoit un géant, inamovible, impressionnant depuis la vallée du Rhône, sommet blanc, de neige ou de calcaire caillouteux selon la saison.
Modeste Fuji-Yama (mais il n'est pas volcan) dont le cône, toujours très imparfait ne se dessinerait vraiment que depuis la vallée du Rhône, le massif est une colossale arête calcaire orientée est-ouest : le Mont Ventoux, 1909 mètres.
Visible de partout à grande distance, il l'est même à très grande vitesse depuis le TGV, ce ver pressé inouï (bien sûr!) qui surgit et s'échappe là-bas dans la vallée du Rhône.
1- Le Ventoux, Babel du dérailleur
A 1900 mètres, habituellement subsistent encore les résineux. Ici, le domaine est déjà minéral, plus du fait de l'exposition au vent que de l'effet de l'altitude.
A la cime, le mistral a battu un record de France absolu avec 320 km/h le 19/11/1967!!!
De quoi déplumer même les cailloux.
Mont Ventoux, mont venteux parfaitement chauve.
Pour le gravir depuis l'ouest par le sud, les lacets sans fin s’élèvent, traversent des bosquets des pinèdes, le maquis dense.
Là, les automobilistes slaloment lentement, prudemment, s'immobilisent parfois entre les groupes de cyclistes qui les enveloppent en grappes, souvent accompagnés d'un véhicule nourrice.
Venus de l’Europe entière, ils montent à tout petit braquet, souffle court, ou redescendent en filant, torse bas revêtu d'un coupe-vent, mains sur les freins qui chauffent, vertigineux, repoussant les dérangeurs motorisés.
Car voici que se dresse le temple, la montagne sacrée du cyclisme. Où l'on dénombre plus de 126 000 cyclistes en 2017, un chiffre croissant (hors période du Covid).
Le point de départ traditionnel, nommé « point zéro », est dans le village de Bédoin, 300 mètres d’altitude (rien à voir avec les bédouins, mais plutôt une origine latine, ou germanique signifiant « berceau du vin » car la vigne est déjà mentionnée à l’époque romaine).
Un gros village dévolu au vélo, de départs, de retours et de séjour, forcément très touristico-mercantile, avec ses très nombreuses boutiques et cafés-restaurants plus ou moins rapides. Une fourmilière un peu artificielle de jeunes familles et de sportifs.
Certainement prospère, il est traversé d'une rue en pente large et sinueuse, avec en son centre une vaste place ombragée de superbes et vénérables platanes.
On lui préfèrera d'autres villages voisins plus calmes et authentiques.
De là en tout cas, presque 21 km pour 1594 mètres de dénivelé sur deux roues. Et une pente moyenne de 7,7% qui par endroit atteint 13%...
Parmi les pédaleurs, hommes, femmes, et quelquefois des familles entières, enfants compris.
De nombreux VAE, (Vélos à Assistance Electrique), peut-être un bon quart, acheminent aussi vers le sommet, au moindre effort les moins physiques.
Parfois, le guide plus âgé d'un groupe de jeunes cyclistes entraînés s'en est muni pour atteindre avec eux le sommet sans risque cardiaque.
Les VAE se reconnaissent à leur batterie, bien apparente à l'arrière, ou intégrée dans la surépaisseur du cadre oblique.
Trop souvent le cycliste, néophyte de la petite reine est "assis" sur la selle trop basse.
La jambe se déploie mal, sans extension ; la poussée ne se fait pas avec la partie antérieure du pied et les doigts mais avec la plante.
Posture maladroite, inconfortable, inefficace même avec l'aide électrique.
Autant d'hérésies pour les puristes du vélo.
D'autant que la montée relève de l'exploit et ne s'improvise pas. Sans préparation physique et un bon entraînement préalable, plus douloureuses seront les crampes et les blessures, même pour ceux ou celles qui échouerons sans atteindre le sommet.
Mais... hommage et respect : ils ont eu l'envie et ont osé l'aventure!
En tout cas, ce sport et cette épreuve sont ceux de la vérité : sans l'artifice de l’EPO (très malsain) ou du VAE, ceux qui réussissent là-haut ne peuvent se mentir, sincères, plus authentiques et estimables que bien des « m’as-tu-vu » bronzés et paradeurs de la Côte au sud.
Au sommet, dans l’irrésistible euphorie de leur victoire personnelle, ils célèbrent leur exploit dans toutes les langues, brandissent leur vélo à bout de bras, se congratulent mutuellement, toisent rétrospectivement la vallée.
Mont Ventoux, tour de Babel du dérailleur, fléché de sa tour-vertige ; les voitures se tortillent et se faufilent sur la parfaite mais modeste bande de bitume, serpent noir qui contraste sur les pentes calcaires.
Un parking en contrebas au sud-est accueille les véhicules, d’où l’on peut aisément monter à pied, via une robuste petite chapelle de pierre vers le sommet. A l'arrière, une station radar pour le trafic aérien.
Arrivé là, on a perdu 12°C depuis la base du mont : petite laine pour 15°C avec un vent léger. Dont l'effet devient glaçant quand il se fait mistral, même en été.
Seuls quelques ânes gris, poil dru et cils enjôleurs, ricanent en liberté et s’amusent à entraver le passage.
Ailleurs un mouton à larges cornes plus torses que les pins torturés par le mistral, tente de chaparder la nourriture de quelques piqueniqueurs inattentifs.
Et un chien noir de berger qui a perdu son maître croit le reconnaître dans le moindre passant.
Mais, peuple de pédaleurs, votre plus beau trophée, est aussi un hommage au Tour de France dans la vallée, à Malaucène.
A pied pourtant, un randonneur gravit le Ventoux au Moyen-Âge (26 avril 1335), l'illustre Pétrarque en personne, âgé de 32 ans, avec son frère plus jeune et deux serviteurs, depuis Malaucène où sa famille s'est exilée.
S'égarant souvent en recherchant un effort moindre, sa peine physique pour atteindre le sommet lui fut matière à se trouver lui-même.
Pourtant l'ingrat n'en ramènera même pas une photo, seulement une longue lettre!
Des milliers de ses émules gravissent les pentes aujourd'hui.
2- Provence âpre et superbe : la vallée et ses villages de piémont
Vers l’ouest, l’immense plaine vallonnée regorge de vignobles bien entretenus, d’oliveraies s’adossant à des bosquets d’ifs, de peupliers alignés, où dominent sur de petits tertres ombragés de très anciens platanes d'étonnante vigueur, au coeur des villages anciens au clocher aiguisé ou parfois coiffé d’un campanile.
Vision rapide de deux villages trop vite parcourus : Malaucène, au nord-ouest du Ventoux, autre fameux point de départ cycliste du Tour vers le sommet, et plus modestement, Mazan où était notre hébergement.
Malaucène :
comme pour tous les villages de la région, la partie historique se recroqueville sur sa colline dans la coquille protectrice ancienne, dont ici les remparts ont été partiellement détruits au 19ème siècle.
Pittoresque et important village (autour de 3000 habitants) avec ses ruelles courbes, ses fontaines (téron en provençal) et portes de pierre, les toits classés de belles tuiles rondes, son campanile qui couronne la tour-donjon et le panorama sur les proches contreforts du Ventoux.
Au pied de la butte du Calvaire se dresse la puissante église St-Michel, dont la construction commence à la fin du 13ème siècle, mais qui ne sera consacrée que... 400 ans plus tard.
Un village aussi prisé par quelques célébrités passées.
Mais où qu'on soit, à Malaucène ou ailleurs,...
les enfants jouent,...
... de vieilles portes se décadenassent, et le temps fuit.
Mazan :
Le périmètre historique de ce modeste et tranquille village est très limité. Il coiffe un dôme au sommet duquel trône l'église, cernée de trop près par des habitations d'époque.
Quelques ruelles étroites et pentues, une courte volée d'arcades, un reste de rempart au-dessus d'une porte en ogive, une brève et superbe avenue de platanes, des murs vénérables et moussus avivés de lauriers roses, une ancienne chapelle reconvertie en musée (en travaux).
Les pierres taillées massives témoignent d'un passé cossu.
3- Vers l'Albion et le mythe lavandier
Au sud du géant, vers l’est, un plateau escarpé est saigné d’une vallée profonde et zigzagante, les Gorges de la Nesque.
Les falaises calcaires trouées de cavernes d’érosion se tapissent d'une végétation de maquis dense et verdoyant.
Mais sous le ciel couvert dont les brumes s'effrangent sur les sommets, la majesté des lieux tourne court.
Sans que jamais de la route (D 942) on ne puisse apercevoir la rivière au fond, bien masquée, peut-être asséchée ; ici et là émergent parfois vers le bas des bribes de sentiers blancs de randonnée.
Sur la route en balcon, une stèle donne un court extrait de "Calendau" (qui n'est pas un fromage), le 2nd poème épique de Frédéric Mistral, bien sûr en provençal ; le 1er était "Mireille".
Il raconte l'histoire de Calendal, un intépide pêcheur d’anchois de Cassis de la fin du 18e siècle, amoureux de la princesse des Baux, Estérelle, qu'il tente de conquérir malgré son ennemi, le comte Sévéran qui n'est autre que l'époux de la belle.
Mais anchois et princesse n'ont pas fait bon ménage : seul le succès de "Mireille" est passé à la postérité.
Puis une vallée-plateau en auge s’évase largement, l’Albion.
Sur un de ses flancs en large éperon, un village perché domine le paysage, Sault (765 m).
Le pays de Sault, érigé en comté en 1561, bénéficie avec la famille d'Agoult d'une certaine indépendance depuis le 13ème siècle jusqu'à la Révolution.
En poursuivant au-delà vers l’est se trouve l’ancien fameux plateau (militaire) d'Albion dont subsistent encore quelques « grandes oreilles » dans un terrain bien balisé.
Tout autour, merci les gelées tardives de l’année!
En effet, au détriment des producteurs, mais pour le bonheur des visiteurs, quelques grands champs de lavande n’ont toujours pas été moissonnés et sont encore en fleur à la fin juillet.
Un circuit composé localement, «la route de la lavande», permet d’en faire le tour sur 30 km.
Le sol clair et caillouteux crisse sous le pas. On le devine peu fertile.
Les longues buttes parallèles déploient en éventail leurs mauves et bleues intenses. Elles s'étirent longuement et galbent les reliefs des champs.
Pour ternir ensuite en durs buissons gris et ras juste après la cueillette-moisson.
Mais laissons aller la féerie mauve qui ne se noie jamais dans le ciel clair.
Les magiques échappées vers l’horizon soulignent ici un village, celui d'Aurel.
Elles ondulent en vagues sous le vent qui les caresse, frémissent...
et entre deux rafales font entendre le bourdonnement intense d’abeilles ivres en nuées.
Les effluves embaument l'air tendu, légères, sobres, loin de l'entêtant et lourd parfum qu'on imagine a priori.
Ici et là, une borie de blanches pierres sèches et plates, de rares amandiers épuisés ponctuent le paysage.
Pour éviter qu’il ne soit piétiné par les hordes sans gêne, attirées par de si plaisants panoramas, certains lavandiculteurs clôturent leur champ (lavanderaie) d’un haut grillage .
Ici, pas de clôture mais une intrusion, là-bas, parmi les épis lourds.
Provence, quand tu nous tiens.
Sur les plateaux aux pentes douces, libre cours est donné ici à la culture depuis un siècle et demi ; auparavant, elle existait, sauvage, dans le maquis.
Car la lavande aime le soleil, n’aime l’eau qu’au premier semis, apprécie les fraîcheurs, ici de petite altitude, et les sols secs, pauvres et alcalins, dont l’alcalinité est renforcée par les graviers, toutes conditions (mais ailleurs aussi) réunies.
Mais elle les pompe et les appauvrit plus encore, ce qui nécessite le changement de parcelle d’une année à l’autre.
La lavande est cultivée aux petits soins dans la région, mais la production s'avère de moins en moins lucrative.
Car elle est maintenant concurrencée de manière insolite et efficace par celle des bas plateaux de l’Inde himalayenne, aussi bien en qualité qu’en coût de revient ; on en produit même au Québec, mais si, avec des plants qui résistent au gel. Mais aussi jusqu'à l'autre bout du monde, en Tasmanie, l'île du diable, en passant par l'Europe de l'Est.
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