la ville romaine antique, ancienne capitale de la Maurétanie Tingitane
Au Maroc, confins d'Afrique, porte d'Europe, les "cités impériales" sont celles qui, au fil des dynasties successives marocaines, ont été la capitale du pays : Rabat, Meknès, Fès, Marrakech....
Nos visites datent de novembre 2010, dans un circuit accompli au pas de course, à l'allure d'une fantasia, presqu'en apnée.
Des siècles avant que ne viennent les Arabes, quand ici n'étaient que les Berbères, voici Volubilis, cité romaine, qui ne sera pas vraiment cité impériale.
L'histoire de cette cité antique est résumée ici à partir des informations détaillées du superbe et très professionnel site sur Volubilis. Certaines illustrations ou photos en sont aussi extraites.
La bourgade berbère de Volubilis est capitale de la Maurétanie (région du Maghreb entre côte atlantique jusqu' à l'oued el-Kébir à l'est) du 4ème au 3ème siècle avant JC.
Elle adopte dès le 3ème siècle la langue et les institutions puniques ("phénicien" en latin), ie issues des héritiers des phéniciens, les carthaginois, implantés en Afrique du Nord entre -1100 et -700.
Pendant les guerres puniques qui opposent Rome et Carthage entre -264 et -146, les premiers rois maurétaniens et notamment Baga appuient Rome avec les Numides contre Carthage.
Rome victorieuse en -146, la Maurétanie s'unifie et l'Empire romain étend son hégémonie sur l'Espagne et l'Afrique du Nord.
En -33, Octave (Auguste) 1er empereur romain, fait administrer en direct le royaume maurétanien resté sans souverain et fonde une colonie romaine à Volubilis.
Après l'apaisement qui succède à la victoire romaine contre Carthage, il faut se préoccuper des anciens soldats et consolider l'Empire.
Comme pour Fréjus par exemple, on crée quand les conditions le permettent des colonies de vétérans avec octroi de terres et espèces sonnantes et trébuchantes, qui contribuent à la Pax Romana du grand Empire.
A la manière des Grecs avant eux, le choix des sites des villes antiques romaines ménage les perspectives et s'assure de la présence de ressources naturelles constantes. C'est le cas pour le site de Volubilis, depuis son plateau intermédiaire en pente douce, entre collines voisines et niveau inférieur.
Dans ce climat chaud et sec l'été, froid sans gelée mais humide l'hiver, les pluies océaniques garantissent l'alimentation des sources et celle des oueds proches.
L'environnement concourt à l'approvisionnement en matériaux de construction (grès, calcaire, bois de chênes, lourdes terres pour la fabrication de briques, de poteries...), et à la production de cultures vivrières, céréales, vigne, olivier, cultures maraîchères.
En -25, Octave place à la tête du royaume Juba II, un Numide (Numidie : royaume berbère couvrant nord Algérie, partie de Tunisie sud-ouest, sud-ouest Lybie et sud-est Maroc...) mais qui a été élevé à Rome.
Volubilis a peut-être accueilli un temps l'une de ses résidences royales ; mais sa capitale est Césarée de Maurétanie (Cherchell en Algérie).
Juba II règne 48 ans (de -25 à 23) et aide les Romains à réprimer les révoltes numides.
Son fils Ptolémée de Maurétanie lui succède avec le titre de "roi allié et ami de Rome".
Mais il est assassiné en 40 par l'empereur Caligula (3ème empereur romain, "le despote fou") à Lyon, pour avoir, dit la légende, osé porter le manteau pourpre, couleur impériale très exclusive.
Rome reprend étroitement le royaume en main, et scinde la Maurétanie en une partie occidentale dite "Tingitane" (de Tanger, ancienne Tingi) et une partie orientale dite "césarienne" (de Césarée, Cherchell d'aujourd'hui) correspondant principalement à l'Algérie.
A partir du règne de Juba II, l'empreinte romaine va marquer la ville sur près de deux siècles et demi, jusqu'à l'abandon vers 285, beaucoup plus lié au relâchement du grand Empire romain qui se distend qu'à des luttes locales.
Sa population atteint quelques milliers d'habitants, jusqu'à 10 000 dit-on.
Surtout des berbères locaux, une petite élite dirigeante romaine mais aussi celle qui est d'extraction locale par le levier des institutions romaines, une petite communauté juive.
On y pratique des religions de diverses origines (romaine, phrygienne, maure, égyptienne...). Peu d'esclaves, beaucoup d'affranchis.
La région est productrice d'huile d'olive (pour la nourriture, l'éclairage, les onguents et remèdes, le savon...) et de blé : on trouve à Volubilis une soixantaine d'huileries et 64 meules à farine.
Une catégorie de meule de pierre dite à anneau (anneau de pierre mobile tournant autour d'un gisant tronconique fixe) était utilisée soit pour moudre la farine, soit pour malaxer les olives. Le schéma provient du site sur Volubilis.
Tous les métiers liés à la construction et à l'aménagement, la décoration sont présents ; potiers, céramistes, briquetiers, tuiliers, forgerons, ferronniers, mosaïstes, bronziers, tisserands, cordonniers, savetiers, tanneurs, teinturiers... Plus de 20 boutiques ont été identifiées.
Les soldats assurant la défense venaient de partout : gaulois, syriens, bretons, asturiens, galiciens...
Dans les temps les plus anciens, dès le 13ème siècle avant JC, c'est Buruberri (ville neuve), qui se déforme en Volubilis ensuite.
Transitoirement, Volubilis devient Ksar Faraoun à l'époque de Juba II et de son fils Ptolémée de Maurétanie, petit-fils de Cléopâtre.
Puis se tranforme en Walili (ou Oualili) dès 789 et l'arrivée de l'islam et de Moulay Idriss ; qui signifiait la ville des lauriers roses. ou des liserons.
Redevenu Volubilis à l'époque moderne.
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Notre guide, grand et décharné dans sa gandoura, raconte Volubilis avec talent, mais des propos sans cesse chargés d'égrillardises à propos des "gazelles".
Maisons praticiennes et mosaïques
Parmi les restes remarquables de Volubilis, une grande maison praticienne, dite "maison au Cortège de Vénus", avec deux mosaïques à motifs mythologiques (représentation parfaite vue de dessus à gauche, et notre prise de vue très médiocre de la MÊME mosaïque à droite).
Elles racontent le quotidien banal de la vie domestique chez les dieux et les héros, avec ses grandes passions et ses petites mesquineries. Et sont un peu les romans-photos de l'époque.
La 1ère "Hylas enlevé par les nymphes" ; éprises de la beauté de Hylas, amant de Hercule, les nymphes l'enlèvent et l'entraînent à jamais dans les profondeurs. On se demande pour en faire quoi...
La 2de "Diane et Actéon" ; Actéon, petit-fils d'Apollon, chasseur habile sachant chasser avec ses chiens, surprend un jour Diane dans son bain.
Diane n'est pas nymphe et Actéon, tout petit-fils d'Apollon qu'il soit, semble ne pas avoir hérité de la beauté de son grand-père. En tout cas pas au point de séduire Diane.
Déesse offusquée comme bourgeoise prude, furieuse, elle le change en cerf ; il meurt déchiré par sa meute.
Dans la "maison aux travaux d'Hercule", sur le bord d'un petit bassin, ce sont d'autres mosaïques moins raffinées, à caractère plus symbolique : dauphin, svastika, trident, cratère dionysiaque (vase à deux anses)... et un volatile ressemblant à une pintade. Motifs "destinés à éloigner le mauvais oeil".
Et bien sûr la représentation, cette fois d'une belle facture de certains des 12 fameux travaux d'Hercule.
Dans la "maison du Desultor", une autre mosaïque représente un cavalier à l'envers sur son cheval : acrobate ou représentation humoristique?
Ailleurs, dans la "maison des Néréides", ce sont notamment les quatre saisons, "symbole d'immortalité", chacune représentée par une tête ceinte des attributs végétaux de la saison considérée.
Dans la "maison du Cavalier", Bacchus découvrant Ariane endormie, belle mosaïque un peu dégradée.
On se souvient que la fille de Minos, contre son père et grâce à son fil, aide Thésée fils d'Egée roi d'Athènes à vaincre le Minotaure, son monstrueux demi-frère, et à s'échapper du fameux Labyrinthe conçu par Dédale.
Puis Ariane quitte la Crète pour fuir la vengeance paternelle avec le fringant qu'elle aime.
Mais pour finir,...
- version 1, optimiste :
Thésée l'abandonne quand ils font escale sur l'île de Naxos (Dia auparavant), alors qu'elle fait une petite sieste. Bacchus, l'ivrogne divin, protecteur de l'île, découvre Ariane endormie (cf la mosaïque), et, pris de compassion et d'amour la rend immortelle et l'épouse. Le diadème d'or qu'il lui offre devient constellation dans le ciel.
- version 2, tragique :
Thésée prend la mer car elle lui est propice, à la demande des dieux ou voulant retrouver une autre amante en Grèce ; mais revient ensuite vers Ariane qu'il découvre morte.
Bonnes gens, que de péripéties!!
Alors quelle version préférez-vous?
D'autres motifs géométriques sont probablement issus des "catalogues" de motifs sur cartons que les mosaïstes proposaient sur tout l'Empire.
Sacrés romains qui ont aussi inventé la vente sur catalogue.
La ville, voies et monuments principaux
Au sommet de la voie principale (decumanus maximus), la porte dite de Tanger.
A l'autre extrémité, un peu décalé par rapport à l'axe de la voie (car il lui est postérieur), l'arc de triomphe de Caracalla.
Mais l'édifice le plus imposant, sur le bord du forum, est la basilique (qui signifiait "salle royale") où l'on traitait d'administration, de justice, où se tenaient des assemblées, des commerces parfois, sans aucun rôle religieux.
D'une emprise de 1000 m², avec ses 8 baies, dont la hauteur à l'intérieur atteignait 15 mètres, elle était couverte d'un toit de tuiles sur charpente de bois.
Les thermes y avaient toute leur place, dont l'eau était amenée par un discret aqueduc depuis les hauteurs voisines,...
... de même aujourd'hui que le nid, rond comme un schtreimel, pas un gâteau mais ce chapeau de fourrure juif de cérémonie, que font d'impertinentes cigognes, pinacle vivant et inattendu de certaines colonnes.
Colonnes souvent pillées au cours des siècles suivants, comme pour la mosquée inachevée de Rabat, ou les palais de Moulay Ismaïl à Meknès.
On ne peut quitter Volubilis sans contempler quelques minutes la fleur dont elle porte le nom - peut-être en imposture -, délicate et intense comme une sauvageonne orientale.
Quelques pieds ornent l'entrée du site.
Moulay Idriss, ville blanche sacrée
Au loin, la ville blanche de Moulay Idriss, est ville sainte pour les musulmans, car elle héberge le mausolée d'Idriss 1er.
Rapidement après l'Hégire, les luttes sont féroces.
Arrière-petit-fils de Fatima fille de Mahomet, un prince arabe (chérif) nommé Idriss, est battu près de La Mecque en 786 par les Abbassides (du nom de Abbas, un oncle de Mahomet) dont il conteste le pouvoir. Il est de confession zaïdiste, une branche du chiisme.
En danger de mort, il fuit Bagdad avec sa famille vers l'ouest et le 5 février 789 fonde ici sa ville. Elle sera lieu de départ de l'islamisation des Berbères du Maroc, et Idriss 1er considéré comme le fondateur du Maroc, l'empire chérifien.
Idriss 1er est aussi le fondateur de Fès qui se développe sous le règne de son fils Idriss II.
Mais il meurt empoisonné 5 ans plus tard en 791 sur ordre du calife abbasside Haroun al-Rachid, qui craint le succès des Idrissides dans l'ouest du Maghreb, et déjà celui des Omeyyades à Cordoue.
Si si! c'est bien Haroun, le calife du conte des "Mille et Une Nuits" ; celui des fastes, des raffinements, des merveilles de la plus belle et grande ville du monde d'alors, Bagdad...
Mais aussi celui de cruauté impitoyables, et d'actions diplomatiques et stratégiques considérables : il combat Byzance et dialogue avec Charlemagne et la Chine.
Puis, après un fulgurant essor (2 ou 3 décennies), l'apogée est courte et c'est le déclin de son empire, que certains imputent à ses incompétences, d'autres aux conflits internes de pouvoir (hé hé! qui ont inspiré la fameuse BD de Goscinny où Iznogoud le vizir "veut être calife à la place du calife").
Il laissera à ses successeurs un empire démembré.
et en allant à Casablanca, Rabat, Meknès, Fès, Marrakech...
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Un résumé lapidaire de l'histoire du Maroc
Carrefour géographique nord-sud à la limite continentale africaine vers l'Océan : le Maroc.
De tout temps, le Maghreb est habité par les Berbères (aussi nommés les Maures). Rien à voir avec les Arabes, futurs envahisseurs depuis l'Orient et l'Arabie.
Permanents mais nomades, ils côtoient plusieurs vagues d'envahisseurs au fil du temps, adoptant souvent leur religion, mais conservant une farouche autonomie dans la mosaïque des tribus toujours belliqueuses. Un trait d'union de toute l'histoire du Maghreb.
Qui sont les envahisseurs?
Dans l'Antiquité,
12ème siècle avant JC : les Phéniciens, marins commerçants vont au moins jusqu'au port d'Essaouira (anciennement Mogador).
5ème siècle avant JC : les Carthaginois sont là, forte puissance au nord de l'Afrique.
Fin du 4ème siècle avant JC : création au nord du Maroc du royaume de Maurétanie (et non "Mauritanie") par les Berbères.
Du 2ème avant JC au 4ème après JC : les Romains consolident la Maurétanie tingitane (de Tanger).
Les dromadaires alors introduits (on n'utilisait jusque-là que le cheval) accroissent l'autonomie des tribus berbères.
Remarquable essor culturel, architectural et économique sous le règne de Juba II (époux de la fille de Cléopâtre et de Marc Antoine).
Et fondation de la colonie romaine de Volubilis sur le site berbère pré existant.
Vers 439, prise de Carthage en Tunisie par les Vandales, qui, en chassant les Romains d'Occident en font la capitale de leur royaume, loin cependant de la Maurétanie tingitane.
533-534 : avec une puissante armée sous le commandement de son déjà fameux général Bélisaire (à gauche), l'empereur Romain d'Orient Justinien 1er le Byzantin (à droite) vainc les Vandales et les repousse hors de l'Afrique du Nord.
Cependant les Berbères, habitués de fait à une certaine autonomie résistent, se rebellent.
Arrivée de l'Islam ; pour une vision globale de la civilisation arabo-andalouse
622 : an 1 de l'Hégire. D'Arabie commence la conquête en 640 vers l'ouest ; elle atteint la côte atlantique autour de 705 avec la soumission de tribus berbères.
Dès lors, le Maroc devient tête de pont de la conquête vers le nord et la péninsule ibérique, via le détroit de Gibraltar.
Mais l'immense empire arabe se gère mal. De fortes résistances apparaissent.
5 février 789 : Idriss ibn Abdallah, descendant du prophète - il est le petit-fils de sa fille -, fonde, sous le nom d'Idriss 1er la dynastie des Idrissides et la ville de Fès ; il rassemble les berbères du nord du Maroc.
C'est le 2ème royaume musulman après l'Andalousie à s'émanciper du califat de Bagdad. Dynastie qui éclate ensuite dans les successions.
1061 : des berbères nomades du Sahara occidental prennent possession du Maroc et fondent la dynastie des Almoravides qui se sont appropriés la religion musulmane ; fondateurs de Marrakech, ils conquièrent ensuite l'Andalousie.
Vers 1125 : une autre dynastie de berbères cette fois maurétaniens, les Almohades, musulmans intransigeants et puritains prennent le pouvoir, de l'Espagne jusqu'à la Lybie. Leur plus fameux sultan est Yacoub el Mansour. Mais les chrétiens tentent la reconquête. L'Empire est vaste et se distend.
1269 à 1421 : la dynastie des Mérinides lui succède, et refait l'unité du Maghreb, Nouvelles dissensions ; les portugais s'emparent de certains sites côtiers.
1472 à 1492 : la dynastie des Wattassides qui a pris le relais se heurte à l'apogée de la Reconquête chrétienne.
Après la Reconquista
1578 : les Saadiens, une autre dynastie arabe engage la guerre sainte contre les chrétiens, bat les portugais, prend vers le sud Tombouctou en 1591 et le Mali ; elle s'enrichit en contrôlant de mines de sel, d'or, et en renforçant la traite des esclaves d'Afrique noire.
Vers 1660 : la dynastie Alaouite (descendants d'Ali, gendre du prophète) dont les membres mènent une vie pauvre, méditative et vertueuse prend le pouvoir.
1672 à 1727 : de la même dynastie Alaouite, contemporain de Louis XIV, le roi Moulay Ismaïl réorganise le Maroc, lutte contre les tribus berbères insoumises, les turcs ottomans, les chrétiens. On le surnommait "l'Assoiffé de sang".
L'époque moderne
Avec la peste au début du 19ème et le déclin de l'économie, le Maroc se replie sur lui-même et s'expose aux ambitions européennes d'expansion.
1912 : protectorat français . Lyautey assure le rôle de résident général (gouverneur). Avec un grand respect de l'islam, il se porte garant des valeurs traditionnelles du pays, intégrant dans sa réorganisation les notables locaux. Honoré encore par les marocains, sa situation est particulière dans l'histoire de l'époque coloniale française.
1925 : prédisant "le détachement" naturel du Maroc, il est aussitôt exclu par le gouvernement français.
2 mars 1956 : indépendance du Maroc, sans trop de douleur de part et d'autre, à la différence de l'Algérie par exemple ; ce qu'explique peut-être l'attitude de Lyautey gouverneur.
Les Résidents qui lui ont succédé, moins sagaces, moins intelligents, tentent d'opposer berbères et arabes avec la complicité du Glaoui riche pacha berbère allié de la France, suscitant en réaction l'engagement des USA aux côtés de Mohammed V pour l'indépendance.
Le roi actuel Mohammed VI, son père Hassan II sont les représentants et descendants directs de la dynastie des Alaouites, d'où leur titre de "Commandeur des croyants", qui leur donne une certaine légitimité religieuse dans l'ensemble du monde musulman même encore aujourd'hui.
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