Au Québec, quelques éclats d'automne
Les dernières heures de notre séjour se déroulent sous un soleil parfait, qui permet d'apprécier la ville de Lévis où aboutit le traversier depuis le port de Québec, avec sa très imposante école religieuse contre la cathédrale sur le plateau.
Au pied de celle-ci, un grand pan de mur illustre dans une très vaste fresque l'histoire de Lévis, de manière plus ludique que celles de la Basse Ville de Québec, avec une représentation d'une facture différente, un parti pris de mise en scène de 2nd degré et donc quelques clins d'oeil. Le thème est celui du passage (du temps, des saisons, du bois...)
On l'appelle la fresque Desjardins de Lévis, probablement parce qu'elle a été élaborée avec le mécénat de cette banque, dont on aperçoit sur cette portion les immeubles modernes.
De très coquettes maisons très bien entretenues s'illuminent avec éclat des nuances maintenant bien appuyées du rougeoiement des érables. Le festival commence.
Nous voici maintenant en route vers St-Vallier.
Nous quittons l'autoroute Jean Lesage pour prendre l'avenue Rousseau, longue route qui traverse la campagne ici plutôt en plateau, en nous dirigeant vers St-Charles-de-Bellechasse, petit village proche d'un carrefour, et sans intérêt majeur.
Là aussi au long du chemin, les bosquets, les forêts se préparent avec vigueur à affronter l'épreuve et explosent d'écarlate, de carmin, de rubis, et de toutes les gradations entre le vert, le rouge profond en passant par le mordoré. Les bords de route eux-mêmes, l'orée des bois habituellement si banals s'habillent pour la fête avant de se mettre à poil, ou devrait-on plutôt dire avant de s'effeuiller... sans la manière du Crazy Horse.
Pour le plaisir chatoyant des passants, qui peuvent y voir un message de défi et de résistance, tout se prépare d'abord en quelques touches puis soudain se propage et explose. C'est alors un festival, un fascinant et immobile feu d'artifice à soleil traversant.
Mais aussi l'ultime signe de vie avant l'extinction, le sommeil, la petite mort, l'hiver.
St-Vallier au Québec
A l'entrée de St-Vallier, là où la 132 rejoint la rue Principale se dresse un curieux et amusant montage, une oeuvre peut-être à la gloire de la petite reine, assemblage de vélos de toutes sortes et de roues de bicyclettes, répartis sur un très grand cercle (la roue-mère) métallique.
Si insolite qu'on pourrait prendre d'abord cette oeuvre pour un parking à vélo parfaitement original! Ce qui lui aurait donné un caractère peut-être plus impérissable.
En reprenant la route 132 cette fois vers le Sud en retournant vers Lévis, voici le très charmant village de St-Michel-de-Bellechasse.
Au bord du St-Laurent, près de la chapelle et du presbytère, le long du chemin donnant sur la rive se trouvent de très belles et souvent anciennes demeures, juste au-dessus de la rive que libère la marée basse, découvrant à peine un peu de vase sur les rochers usés.
Le village de St-Vallier doit son nom à l'un des évêques de Québec dont la famille était originaire de St-Vallier dans la Drôme en France, sur le Rhône. A lui seul, son nom complet mérite le détour : Jean-Baptiste de la Croix de Chevrières de St-Vallier (1653-1727); respirons!
De fait, en 1720, notre évêque acquiert une partie de la grande seigneurie attribuée en 1672 à un officier breton Olivier-Morel de la Durantaye.
Juste au-dessus de la route de petite corniche se dresse l'église, reconstruite "en matériaux non combustibles" dans les années 1950 après l'incendie de la précédente qui succédait à une autre église antérieure.
Toute proche se situe en bord de route une très belle et ancienne maison, celle du Dr Joseph Côté, érigée entre 1839 et 1848, dont les qualités architecturales lui ont valu d'être classée immeuble patrimonial. Pour les spécialistes, c'est "un bel exemple de cottage de style Regency.... avec son toit à croupes aux versants retroussés et lamiers cintrés,...un portail composé de colonnes doriques supportant un entablement surmonté d'une corniche à modillons, des chambranles moulurés, des pilastres corniers à motifs ainsi que des cheminées octogonales à mitrons...."
Excusez du peu, et admirons la richesse du vocabulaire spécialisé. De quoi délirer sur des "octoniches à moditrons" ou des "corgonales à mitrillons".
Mais toujours contraints par le temps (qui passe), nous n'aurons vu ni le moulin de 1747, ni le Musée de voitures à chevaux.
St-Michel-de-Bellechasse au Québec
La belle vue panoramique sur le St-Laurent avec son petit kiosque de bois à l'extrémité d'une langue de pierres avançant sur le fleuve-mer, l'île d'Orléans juste en face, et au-delà le sombre profil des Laurentides, un air frais qui balaie le fleuve, il n'en faut pas plus pour tendre le cou vers les voiles gonflées d'une caravelle... qui ne vient pas ; envies d'autres départs et d'aventure.
Et gavons-nous encore, sans être jamais rassasié, d'autres couleurs d'automne, comme s'il y avait urgence à voir, à savourer.
A quelques centaine de mètres le long de la 132, une maison expose des miniatures de maisons et une église québécoises très réussies, en libre offrande -visuelle- au passant. Peut-être un architecte nostalgique ou un charpentier talentueux amant de la femme du premier?
Olivier Morel de la Durantaye est né en 1640 à Notre-Dame-de-Gâvre actuellement en Loire Atlantique en France, d'une lignée de noblesse locale du duché de Bretagne.
Nulle autre trace de ce personnage ailleurs qu'au Québec, où il arrive en 1665 en tant que commandant d'une des vingt compagnies du régiment de Carignan-Salières. Il revient des Antilles où on tente de chasser les Hollandais.
On le voit ici combattre les Iroquois, s'allier avec d'autres Amérindiens, commercer les fourrures, le poisson, le bois de mâture, et même contrôler les agissements de Cavelier de la Salle vers 1682.
La seigneurie de la Durantaye lui est attribuée en 1672 (voir plus haut) ; elle forme avec les seigneuries voisines une très grande paroisse en 1678. Outre la seigneurie, en 1681, "il possède deux fusils et deux vaches".
Puis la seigneurie de la Durantaye s'érige en paroisse autonome en 1693 et prend le nom de St-Michel de la Durantaye en 1698. Olivier Morel décède en 1716.
St-Vallier s'est détaché de la paroisse entre 1714 et 1720.
Un peu avant la Conquête, en 1754, la veuve du seigneur de Péan est autorisée à établir là un bourg, qui ne prendra forme que 40 ans après la Conquête.
En effet, l'armée anglaise n'y trouve pas de véritable bourg en 1759, mais seulement une église construite en 1730 et un presbytère érigé en 1739, celui-ci toujours présent et que l'on dit l'un des plus anciens de la côte sud du St-Laurent.
Puis dans la 2ème partie du 18ème siècle, sa population s'enrichit d'artisans puis d'Acadiens, d'Amérindiens des régions voisines, de l'exil d'autres Acadiens qui fuient la déportation de 1755, "le grand dérangement".
Le village prend toute sa dimension administrative locale dès l'abolition du régime seigneurial entre 1845 et 1855, et son nom actuel en 1854.
On dit aussi que la plupart des maisons de St-Michel, qui datent à peu près du 19ème siècle, ont conservé une couleur blanche dominante qui en fait l'un des charmes.
Beaumont au Québec
Et voici maintenant Beaumont, un autre très beau village qu'on traverse en se rapprochant de Lévis sur la vaste rive sud. Les maisons anciennes y semblent plus cossues, plus prospères encore.
Leur parfait état de conservation doit beaucoup à un conseiller municipal de la commune, Robert Lamontagne, pour ses actions remarquables en faveur de la sauvegarde des bâtiments patrimoniaux de l'ensemble du comté de Bellechasse. Menuisier artisan et restaurateur de maisons anciennes, il a oeuvré sans relâche depuis les années 1960 et pendant plus de 25 ans. Un autre artisan architecte y contribue aussi, Rosaire St-Pierre. L'un et l'autre ont activement participé à la réfection de deux moulins à eau, celui de Beaumont et celui dit de Vincennes (construit en 1733), que nous ne verrons même pas.
J'entrevois peut-être pourquoi, il y a 50 ans, le pays, l'habitat, me paraissaient moins attractif : en cette période commençaient seulement les premiers efforts modernes pour entretenir et restaurer le patrimoine ancien.
L'histoire de Beaumont se détache de celle de la seigneurie de la Durantaye : son attributaire en effet est en 1672 le petit-fils de Louis Hébert (le 1er colon-défricheur de la ville de Québec) et se nomme Charles-Thomas Couillard des Islets, aussi connu comme Charles de Beaumont et des Islets.
En 1681, il possède "deux fusils, deux pistolets, cinq bêtes à cornes et dix arpents de terre en valeur". Est-ce là toute sa fortune?
La paroisse de Beaumont est fondée en 1692, mais n'abrite pas plus de 30 personnes en 1730. L'Etat interdit en effet de construire des édifices sur les terrains dont la superficie n'excède pas 1,5 arpent (?) sur 30 arpents, ce qui exclut de construire au centre du village, qui alors s'appelle St-Etienne-de-Beaumont.
L'église actuelle, sur le chemin central est ouverte en 1733 (l'une des plus anciennes du Québec), après avoir été construite sur le site d'une première église de bois elle-même érigée en 1694. Le presbytère est construit en pierre en 1722 et est le plus ancien de la rive Sud, même s'il résulte d'une reconstruction partielle en 1988 après un incendie en 1979 (alors quid de celui de St-Martin-de- Bellechasse qui se prétend aussi le plus ancien?).
C'est sur la porte de l'église que le colonel Monckton affiche en juin 1759 la proclamation du général Wolfe annonçant la future prise de Québec.
Après la Conquête, la population atteint 1000 habitants en 1824, et continue de progresser autour des métiers de l'agriculture et des moulins à eau, artisans, mais aussi rentiers attirés par la beauté du site.
En tout cas, au-delà de la quinzaine de maisons d'origine normande construites au 18ème siècle s'ajoutent ensuite au 19ème d'autres maisons dont la configuration a évolué en fonction de "l'expérience climatique" acquise en particulier sur l'ïle d'Orléans toute voisine.
Ce n'est qu'en 1998 que la paroisse de St-Etienne-de-Beaumont devient la municipalité de Beaumont.
Au pas de course, nous ne verrons guère du village que la belle église ancienne et quelques superbes maisons, cottages, toutes encadrées des couleurs flamboyantes de l'automne naissant.
Le vieux moulin Péan, les petites chapelles, le fort, la configuration sinueuse du village épousant celle de la falaise... ce sera pour une autre fois.
On note, comme une illustration permanente des premiers pas de la colonisation, que les maisons anciennes sont construites en oblique par rapport au chemin central, mais de fait perpendiculairement à l'axe des "rangs", ces lopins de terre découpés de manière rectiligne, parfaitement parallèles entre eux, et étirés vers le fleuve, dont l'héritage actuel transparaît à l'évidence sur un extrait de Google Earth de la région.
Le rang est un mode de division des terres rurales en Nouvelle-France, issu du régime français.
Instauré par Giffard en 1628, qui vient du Perche et précède Charles de Beaumont ici, il a été utilisé jusqu'aux derniers développements agricoles québécois.
Les rangs sont positionnés autour des cours d'eau, seules voies de communication de l'époque et garantissent de cette manière la survie des habitants.
Les concessions sont des rectangles très allongés, perpendiculaires au cours d'eau. Bien sûr, le profil changeant des rives fait qu'ici, les rangs sont déjà obliques par rapport au fleuve. Tout dépend où est prise la référence de rive.
Comparativement au canton anglo-américain, un carré d'environ 160 arpents sur 160, chaque concession d'un rang est ici de petite dimension (3 ou 4 arpents de large mais 30 à 40 arpents de long c'est à dire de profondeur), mais favorise l'entraide et une forte cohésion sociale : les bâtiments sont plus rapprochés puisqu'ils ne sont distants que d'environ 200 m le long de la voie publique, en ces premiers temps de grande insécurité.
Quand le rang n°1, celui qui borde la voie d'eau est totalement concédé, on trace un chemin rectiligne à l'arrière. Puis on attribue les terres faisant front à ce chemin, et c'est le rang n°2. Ainsi de suite.
Avec la multiplicité des rangs (n°1, 2, 3...) se créent le long des chemins droits qui les délimitent de véritables rues aux maisons espacées, caractéristiques du paysage québécois.
1 arpent = 58,47 mètres.
On voit ci-dessous une carte des attributions des rangs établie par Jean Bourdon en 1641 pour la région de Beaupré, face à l'Île d'Orléans, qui pourraient avoir été dans cette région la référence cadastrale par rapport au fleuve.
On a compté au Québec jusqu'à 10 000 rangs.
Et c'est ainsi que se clôt à regret un trop court séjour dans la Belle Province. Notre GPS ne connaît pas encore le nouveau pont suspendu Pierre Laporte, par lequel nous franchissons le fleuve vers l'aéroport, et qui double en parallèle le seul vieux pont métallique que j'ai connu il y a 50 ans.
Pourtant, il est inauguré en novembre 1970, 2 ans avant mon retour vers l'étroit hexagone, mais à peine un mois après la mort de ce ministre québécois auquel il rend hommage.
Ce qui ne manque pas de me rappeler cet épisode peu glorieux de la mort de ce ministre du Travail du gouvernement Bourassa de ces années-là, alors qu'il est enlevé par le Front de Libération du Québec en octobre 1970, émanation révolutionnaire et extrémiste fondée vers 1963.
Pendant qu'en parallèle de mon arrivée ici, en 1968 se crée le Parti Québécois.
Demain sera un autre jour après une nuit en avion. et un crépuscule sous un ciel peint à grands traits peignés de lambeaux abstraits.