Sri Lanka sud,
deux grands parcs nationaux
Malgré ses dimensions somme toute modestes (435 km nord-sud et 225 km est-ouest au plus large et donc une surface comparable par exemple à celle de notre 2ème région la plus étendue en France métropolitaine, l'Auvergne-Rhône-Alpes), l'île a su conserver, voire même développer de superbes parcs nationaux.
Depuis notre hébergement à Hikkaduwa, nous visiterons deux parcs voisins, dans le sud de l'île.
L'un est le Parc National d'Udawalawa, au bord d'un lac artificiel dont l'horizon se barre de sommets montagneux comme dans une légende africaine.
L'autre est le Parc de la Réserve Forestière de Sinharaja, un peu à l'ouest du premier, très connu pour sa forêt primaire endémique.
Pour le premier, notre chauffeur, jeune et efficace nous conduit sans ambages à destination.
Pour le second, nous devrons subir la conduite d'un autre chauffeur malhabile.
Même sous la bienveillante protection du petit bouddha en position de méditation, fixé au-dessus du tableau de bord de sa voiture, le moindre parcours a été interminable.
Alors pour les plus longs, et en particulier le périple de l'aller et du retour entre Hikkaduwa et Kandy via la banlieue sud de Colombo!!
Malgré nos efforts pour exhorter notre interlocuteur francophone à Hikkaduwa à le remplacer, nous devrons le subir pendant presque une semaine, au début irrités, puis finalement amusés.
Sri Lanka, nature fastueuse,
petit matin affairé
Même si à vol d'oiseau, nous ne sommes pas à plus de 100 km du second parc, le plus éloigné, l'ondoiement des contours routiers est incessant.
Du temps où les transports les plus rapides se faisaient à dos de buffle ou d'éléphant, ils contournaient soigneusement tous les obstacles du relief.
Pour les touristes, les départs se font donc très tôt pour profiter de la pleine journée à chaque fois. Car la durée du parcours est toujours plus longue qu'on ne croit.
Si bien que l'occasion nous est donnée de voir les départs de la population vers le travail au petit matin. Au très petit matin même, on aperçoit dans le faisceau des phares des personnes s'acheminant à pied ou à vélo le long des routes, parfois pour parcourir des kilomètres comme nous l'affirme notre guide.
Dans l'air, il y aurait presque un bonheur de l'instant, une fluidité des véhicules et des postures, une tranquillité souriante. Est-ce là la culture bouddhiste?
Les saris féminins, même sur un arrière-plan de tapageuses publicités embelliraient la plus replète et rehaussent une sorte d'élégance palpable, un véritable état de grâce esthétique, une noblesse de posture peut-être typiquement sri lankaise.
Pourtant à l'abord des villes traversées, tout redevient trépidant, intense et bruyant, ponctué de coups de klaxon sans intention agressive, juste pour signaler l'arrivée du véhicule.
Notre bouddhiste de chauffeur (le second) en est un très grand praticien.
Plus tard quand le soleil se lève, ce sont les écoliers tout vêtus de blanc qui vont par tous moyens vers leur école, à pied, en moto, en bus, protégés aux carrefours par une police active et obéie mais débonnaire.
Dans la lumière dorée, la luxuriante végétation fait un cadre somptueux aux moindres perspectives.
Une rizière inondée d'or éblouit en royaume du premier jour ; une vache couchée contre un arrêt de bus compte les voitures et les tuk tuks qui passent sans même détourner la tête, impavide et sacrée, abusant avec un détachement condescendant de son statut de bovin rituellement protégé.
Même les chiens maigres se prennent au jeu, et se prélassent au soleil sur le bitume encore frais de la nuit, savamment contournés par les véhicules.
Fête de la Pleine Lune ou autre événement, on salue ou on implore Bouddha ("puisse bouddha vous bénir") à l'entrée d'une ville, par un arc coloré à la manière des portiques gonflables du Tour de France.
Par exemple en pénétrant dans Embilipitiya avant d'arriver à notre destination du Parc d'Udawalawa.
Mais pour les habitants, c'est la banalité du quotidien besogneux qui les attend, et rien d'autre.
Sri Lanka,
Le Parc National d'Udawalawa
Un peu avant le Parc lui-même, nous rencontrons la petite entreprise familiale qui organise, parmi d'autres dans le coin, la visite du Parc d'Udawalawa. Les 4x4 sont pourvus d'une plateforme élevée, équipée de sièges, qui permet de voir l'environnement sans limitation.
Peu discret parce que bien visible, -on n'essaie pas de se dissimuler-, mais surtout très bruyant, et forcément perturbant pour la grande faune que nous allons rencontrer.
Nous constatons égoïstement que nous n'aurons pas à partager le véhicule avec d'autres touristes, ce qui permet une relation plus personnalisée avec le chauffeur-guide, très compétent.
Justement, le soleil ce matin est radieux.
Comme on dit, "le matin est radieux" aussi pour deux éléphants "maximus" (c'est le nom de la variété d'Asie, alors qu'il est pourtant plus petit que son cousin d'Afrique) qui déambulent sur les bords de la piste et font office d'hôtes d'accueil spontanés.
Ce substantif "maximus" n'a en effet rien à voir avec ce qui suit.
En effet, les voy(ag)eurs, -envieux goguenards pour les hommes, franche rigolade pour les femmes-, sont impressionnés par ces "maîtres-étalons" en rut, sexe en pré-érection, mètre-étalon, ou double-mètre... qui là dans son semi-déploiement atteint presque le sol.
Sauve qui peut jeunes éléphantes!!... Sauf celles qui les trouvent jolis garçons.
La route qui mène au parc emprunte la digue rectiligne du grand barrage de terre retenant le lac nommé "Reservoir Uda Walawa", et qui forme une partie de la limite sud du Parc, au-dessus d'une vallée luxuriante.
Le lac de barrage a été construit vers les années 1960 sur la rivière Walawe.
Notre premier éléphant "broute" paisiblement à l'intérieur de la barrière (électrique?) qui délimite tout le parc, sur la pente herbeuse de la digue le long du lac où pêchent deux personnes.
Accompagné de ses aigrettes favorites (ou bien doit-on les appeler "pique-éléphant"?), il n'est pas gêné par notre arrêt et s'en va de son noble pas.
Notre guide indique que c'est un habitué, un peu nourri aussi par la population locale.
Plus loin, nous atteignons l'entrée même du parc.
Petite concentration de quelques véhicules comme le nôtre, qui se croisent car les lève-tôt ont assisté au lever du soleil sur le lac et le parc.
Alors que la cellule matriarcale avec les mères et les petits forme groupe, les mâles s'isolent et vont souvent par paire, comme ici.
Notre visite, où nous croisons finalement peu d'autres véhicules, sillonne le parc dans toutes sortes de pistes pendant environ 3 heures. Nous stoppons de rares minutes pour guetter, enfin dans le silence et nos chuchotements.
La végétation est basse, parfois relevée d'arbres hauts isolés, souvent morts et décharnés comme dans un décor de western.
De nombreux marigots alimentés par les eaux du lac sont hérissés de troncs de bois de teck nus.
Au loin, le massif montagneux central forme une barrière bleutée, la "ligne bleue de Kandy?"
Au gré du parcours, voici de beaux oiseaux tête dorée et ailes bleutées, ou une sorte de martin-pêcheur multicolore,
Plus loin, aux abords immédiats du lac, où s'étirent de grandes surfaces vaseuses entrecoupées de petits marais, ce sont des buffles d'Asie (forcément) qui prennent couchés leur bain de boue.
Ils débarrassent de cette façon leur pelage des parasites qui s’y incrustent et éloignent mouches et moustiques.
Tout un groupe est là, obéissant à son instinct grégaire, entouré d'actifs pique-boeufs immaculés.
A distance, et aux 3/4 dissimulés dans la boue, les animaux semblent de dimensions modestes.
De fait, le mâle pèse 900 kg en moyenne, soit presqu'une demi-tonne de plus qu'un taureau ou qu'un boeuf.
On comprend que le buffle ait été ici depuis longtemps domestiqué pour les travaux et le bât ; malgré la mécanisation, on en voit encore quelques-uns, assez rares, dans les rizières.
Une fois séchée, la boue forme une espèce d’armure à travers laquelle les insectes ne peuvent pas piquer et qui emprisonne aussi les parasites : quand l'animal se frotte à l’écorce des arbres, les tiques et les puces tombent avec la terre réduite en poussière.
Leur bain protège en outre les buffles de la chaleur, et l'inertie thermique de la boue humide en sortie de bain (envoyez le peignoir!) allonge la durée d'évaporation et prolonge l'effet rafraîchissant.
Les buffles côtoient un crocodile immobile, gueule ouverte.
Faut-il dire LE crocodile (de service)? En tout cas le seul que nous verrons. Il assure sa régulation thermique en maintenant béante sa mâchoire, comme on en a vu faire d'autres, en Floride ou à Cuba.
La cohabitation est là paisible.
Mais, à la saison des naissances, gare aux écarts des bufflons encore tendres!... En guise de savoureux amuse-gueule, un vrai régal de saurien.
Ailleurs, ce sont d'autres éléphants, parfois solitaires qui arrachent des branches ou de l'herbe avec leur trompe aux capacités incroyables. Ils l'enroulent et portent la nourriture à la bouche avec une formidable agilité, et s'en mettent jusque-là.
Puis ils s'enfoncent en silence, presque légers, au milieu des arbustes pour ne pas subir les nuisances sonores des touristes.
Il y a dans leur démarche, du haut de leurs longues pattes une élégance tranquille, à laquelle le déroulement du pied apporte une sorte de décontraction.
Peut-être ici une femelle aux longs cils et à la peau encore un peu lisse. Une jolie femelle juste pubère qui ne saurait résister à la séduction de notre "maximus" joli coeur du départ.
On se prendrait facilement d'affection pour de tels pachydermes, qui nous observent sans crainte.
Puis d'autres éléphants encore, mères avec adolescents bien entourés, alors que se baignent d'autres buffles.
Les seuls toucans aperçus ici appartiennent à une variété différente de celle qu'on avait admirée au Costa Rica, sur les branches décharnées d'un puissant arbre mort, torturé comme un démon de Brughel.
Un couple pas très uni, distant et boudeur. Ils sont les seuls ici et il faut qu'ils se chamaillent...
Ailleurs, ce sont de banals rapaces.
Soudain dans une petite clairière, voici des silhouettes d'une finesse remarquable : des sortes de daims, en petit groupe. Ce sont semble-t-il des femelles de cerfs Axis.
Le guide nous fait remarquer que le groupe se déplace d'abord sous de hauts arbustes au pied desquels ils semblent trouver de la nourriture.
Des bruits au sommet de ceux-ci, des déplacements furtifs : ce sont des singes, les grey Langur, très répandus.
Décortiquant des baies, ils en jettent l'enveloppe au sol, qui fait le festin des graciles daims. Bel exemple de symbiose.
On rencontre le long des chemins un paon bleu sauvage dont le pays semble coutumier.
Bientôt peut-être la saison des pluies, car on dit que c'est alors que commence celle des amours et qu'il fait la roue et épanouit son plumage ("l'extravagance de sa queue" comme le dit le Larousse), à l'endroit et à l'envers ; mais sans pousser son cri "léon!!" comme en France.
Ou bien parle-t-il le cinghalais, et on n'aura pas compris...
Si coutumier dans le pays que des panneaux d'information sur l'autoroute mettent en garde sur la présence de ce volatile, comme au Québec on le fait pour "la grande faune" et les orignaux...
Faut-il qu'on les rencontre trop souvent pour qu'ils suscitent une telle prudence? Ou bien la culture bouddhique, si respectueuse de la vie conduirait-elle les automobilistes à des écarts intempestifs pour épargner un paon égaré sur la voie?
Très furtif et plus sauvage, voici, sur l'indication du guide, un couple de mangoustes qu'on entre aperçoit à peine en train de fuir dans les broussailles. Plus loin, un varan de plus de 1,5 mètre traverse la piste paisiblement.
De ces derniers, nous verrons ailleurs d'autres exemplaires.
Sri Lanka,
la Réserve Forestière de Sinharaja
Un autre jour, cette fois en compagnie de notre chauffeur bouddhiste ainsi que de Nandana, notre guide francophone qui lui-même ne conduit pas, nous voilà partis en direction de la réserve forestière de Sinharaja.
Depuis notre hébergement à Hikkaduwa, le chemin est à vol d'oiseau plus court que pour aller au parc d'Udawalawa. Pourtant ce sera plus long.
Car cette fois notre chauffeur est ce malhabile conducteur bouddhiste déjà cité.
Mais surtout, l'une des routes empruntées est en cours d'élargissement. Nous devons la suivre sur quelques kilomètres sur un tronçon dont les travaux en font une large piste souvent boueuse. Mais encombrée au petit matin du même trafic qu'ailleurs puisqu'il s'agit d'un axe routier très fréquenté. Obligation de lever le pied, un bonheur pour notre chauffeur!
Dans la constante splendeur de la lumière du matin, au creux de plates vallées dessinées entre de petits monts luxuriants, on longe de superbes rizières dont les gradations dorées traduisent les divers degrés de mûrissement des grains.
Là se déroule une petite récolte manuelle.
Notre guide indique qu'il va le lendemain ramasser lui-même du riz près de chez lui, dont il extraira quelques sacs de grain qu'il stockera pour son usage familial.
Petit commerce de proximité, troc, esquisse d'économie solidaire, habitudes villageoises ancestrales?
Sur le chemin vers le réserve
On conclut en passant que les règles d'urbanisme font largement place aux priorités de voirie : de nombreuses maisons et immeubles bordant la route en travaux sont amputés, les façades détruites laissant les pièces éventrées, les pans de murs abattus grossièrement pour permettre l'élargissement et l'alignement futur de chaque bord de route.
Non pas une destruction chaotique comme après des bombardements ou un cataclysme, mais une destruction organisée, manifestement brutale.
L'expression "être frappé d'alignement" prend ici presque un sens propre. Il est probable que les délais administratifs d'indemnisation -s'il y en a- sont de beaucoup supérieurs à ceux des travaux.
Puis la montagne se fait plus abrupte, dégageant d'amples vallées. Notre réserve est en effet en petite altitude et s'étage jusqu'à 1200m.
La route devient plus étroite et sinueuse, moins encombrée de circulation, jusqu'à devenir totalement déserte comme si on atteignait le plus profond du pays.
Des aigrettes ou des pique-boeufs viennent picorer par vols entiers les champs coupés après cueillette.
Ailleurs, ici ou là, les flancs de courtes montagnes se couvrent de productions de thé, régulièrement surmontées d'arbustes qui seraient des hévéas.
On parles de "rizières" pour les surfaces produisant du riz ; pourquoi ne pourrait-on pas parler de "théières" pour celles qui donnent du thé???? Ben non, c'est déjà pris.
Belle découverte de ces plantations bien régulières, dont la culture est entièrement manuelle et la cueillette très éprouvante.
Dans les villages, certaines personnes transportent et vendent des grappes de noix de coco rosées. d'autres doivent consommer le fruit du jacquier, très volumineux, écorce grossièrement granuleuse (qui se vend aussi chez Tang Paris 13ème).
Mais là, directement de l'arbre.
Et voici un superbe varan joliment moucheté, à peine dérangé par notre voiture, qui traverse sans hâte la route, ici plutôt cimentée que bitumée.
L'entrée de la réserve est modeste, délibérément dépourvue de confort, mais bien documentée.
Une équipe de huit guides en uniformes est là pour accueillir puis accompagner impérativement les touristes, dont le quota instantané est géré.
Mais ce jour-là, peu de monde.
C'est une guide, l'une des jeunes femmes d'un groupe de 3 dans l'équipe, qui nous est affectée. Discrète et pugnace, assumant avec une maladresse gênée sa féminité dans cette activité majoritairement masculine, peu expansive, elle s'attachera à remplir sa mission avec sérieux, dévouement, et une discrète mais intense cordialité, l'oeil exercé pour montrer ce qui nous échappe.
Elle nous guidera de sa voix rauque et à notre rythme dans notre petite randonnée, à laquelle nous accompagne notre guide francophone, venu pour compléter sa culture et ses connaissances.
La réserve forestière est classée depuis 1989 au Patrimoine mondial de l'UNESCO.
En effet, elle est considérée comme la dernière zone viable de forêt humide primaire à feuilles persistantes (les spécialistes disent "sempervirentes") du pays.
Sur une surface totale de presque 90 km², elle concentre de nombreuses variétés endémiques (à taux élevé d'endémisme, un taux que savent mesurer les spécialistes) tant pour la flore que pour la faune, à des altitudes comprises entre 300 et 1200 m s'étageant sur une relief accidenté, en lui-même assez protecteur.
C'est aussi une "relique du Gondwana", ce fameux super-continent qui fut l'une des étapes-avatars de la Terre dans la dérive des continents, entre -600 et -160 millions d'années. Ce qui rend la réserve plus précieuse encore.
Elle est cependant exposée aux déforestations sauvages, aux travaux de chercheurs de gemme, aux braconniers. Mais l'Agence sri lankaise qui la gère accorde une priorité absolue à sa protection.
Sinharaja, patrimoine mondial de l'UNESCO
Randonnée modeste d'environ 2h (à notre choix), avec une petite boucle, qui gravit un peu la pente, croise de beaux ruisseaux, puis forcément redescend.
Mais qui laisse un petit goût de frustration : même si les efflorescences particulières rencontrées évoquent la forêt primaire, comme par exemple on en rencontre sur l'île de la Réunion, ou aux Canaries, rien ne vient s'ajouter de spectaculaire et de particulièrement original concernant la flore.
un peu de la flore
Juste au moment du départ, notre guide francophone attire notre regard sur mon tendon d'Achille droit (bien sûr, nous sommes en short et tee-shirt) : une sangsue s'accroche à mon mollet maigrichon, pourtant pas très appétissant. Je la décroche d'une claque, même si la tête sanglante reste un peu.
Une autre est tombée d'on ne sait où sur mon arrière-col ; on m'en débarrasse aussi.
Nous n'avons pas eu la précaution comme d'autres de venir en pantalon ou en guêtres.
L'humidité ambiante, la température clémente à cette petite altitude et d'autres parfaites circonstances font un milieu propice pour ce désagréable animal.
Mais la solution locale existe : la guide et le nôtre nous passent un petit godet rempli de "baume du tigre" dont nous nous enduisons.
Terminé les sangsues, radical!!!
Déjà Ibn Battuta raconte sur l'île au 14ème siècle : "C'est dans cet endroit que nous vîmes la sangsue volante que les Cingalais appellent zulû [...] On raconte qu'un pèlerin passa par là et que des sangsues s'attachèrent à sa peau. Il endura sa peine [...] Les sangsues lui sucèrent tout son sang jusqu'à ce que mort s'ensuive. Il s'appelait Bâbâ Khûzi et une grotte des environs porte son nom."
Les fougères presque géantes ci-contre, les crosses d'archevêque ci-dessus sont banales même dans nos tropicales Antilles françaises.
Le fût parfaitement rectiligne et d'une hauteur vertigineuse de cet arbre tropical est remarquable.
Le Jardin botanique de Kandy nous réserve d'autres extraordinaires et plus explicites essences de dimensions au moins comparables.
On s'attarde plus volontiers sur des sortes de lianes puissantes qui pourraient s'apparenter à une vis sans fin (croissance en hélice) ou à de grosses mèches à forer la terre.
De la même façon, on reste stupéfait des entrelacs naturels que fait le rotin (ci-dessus).
On croirait une sorte de piège géant, de fantasque noeud coulant, un tube souple qui épouse les pentes du relief, rampe au sol puis, modeste Antée végétal, repart, virevolte et s'envole pour passer autour des troncs vers un peu de hauteur, puis replonge vers le sol, s'enlace mutuellement, sans qu'on puisse trouver le début ni la fin.
De temps en temps, une orchidée sauvage, une plante carnivore gobe-mouche ponctuent le parcours.
... et maintenant un peu plus de la faune
Une autre richesse est celle de la faune, même si là nous ne verrons que la plus petite. En dehors d'oiseaux que nous entendons souvent mais que nous ne verrons pas, voici quelques beaux papillons tropicaux.
Ailleurs une belle araignée sur sa superbe toile parfaitement régulière.
Sur des feuilles ou des branches, immobiles, tête dressée, doigts incroyablement longs, adeptes du bronzage intégral, plusieurs lézards, chamarrés ou bruns, avec ou sans crête.
Ils nous sont présentés comme des caméléons, ce qui ne peut être vrai, du seul fait que les yeux n'ont aucune indépendance de mobilité, critère imparable de reconnaissance.
L'un d'eux, gros fainéant ou plus cabot que les autres se retrouve à la sortie à l'endroit exact où nous l'avons vu à l'entrée.
Nous comprenons a posteriori que notre interprétation du mot "caméléon" par la guide relève d'un malentendu de notre part.
En tout cas, la plus originale variété est l'espèce verte, d'une élégance gracile, presque délicate. Fréquent sur notre parcours, l'oeil blasé, il joue efficacement, et pourtant sans en être, d'une fonction "caméléon" sur les feuilles tropicales d'exacte et semblable couleur.
Nous verrons aussi à quelques reprises une sorte d'énorme (au moins 10 cm de long) mille-pattes, corps noir luisant et pattes blanches qui font comme une brosses, de ceux dont on ne voudrait pas même dans nos cauchemars ; en tout cas parfaitement annelé et spectaculaire.
Naturellement, il manquait à ce cadre des reptiles. Un long, filiforme et inoffensif serpent vert, lui aussi "camaléonesque" sert de bracelet au guide d'un autre petit groupe que nous croisons.
Ailleurs, c'est une impressionnante couleuvre bronze qui se glisse entre les pierres.
Difficile d'apercevoir aussi entre les feuilles le love inquiétant d'un autre serpent débusqué par la guide, dont elle nous conseillera de rester à l'écart.
Gardons pour la fin cet animal impressionnant, sauvage d'entre les sauvages, que l'on dit endémique du Sri Lanka et dont il serait aussi l'oiseau national.
Il déambule sur les pistes tous ergots dehors, à distance suffisante de sa femelle, gallinacé de la plus pure espèce, et qui de plus ici prend un nom presque gaulois : c'est.... "le Coq de Lafayette".
De couleurs éclatantes, plumes striées et de taille modeste, il a l'oeil dur et la patte affairée des petits dominants à qui l'on n'en compte pas..
Et... vraiment sauvage, s'éloignant à distance suffisante de nous quand nous tentons de nous en approcher.
Sri Lanka, collines à thé
Fort opportunément, le chemin du retour est différent de celui de l'aller, sous un ciel gris qui accroche quelques nuages aux sommets arrondis ou bien qui masque les vallées.
En particulier, il sinue entre les croupes de petites montagnes, où l'on découvre l'organisation bien ordonnée de plantations de thé, qui épousent étroitement les surfaces.
L'occasion d'une visite instructive de champs du fameux "thé de Ceylan".
Le Sri Lanka est le 3ème ou 4ème producteur mondial (selon l'année d'observation dont on a du mal à trouver les chiffres les plus récents). En tout cas en 2013, la production sri lankaise représentait 6,4% de la production mondiale, après la Chine au 1er rang avec 36%, puis l'Inde avec presque 23% et le Kenya avec plus de 8%).
L'île reste en tout cas depuis les années 1980 le 1er exportateur mondial.
Notre guide francophone indique que les plants produisent 20 à 25 ans, puis il faut arracher et replanter.
Tous les 4 ans, les pieds sont taillés court ; ils ne redeviennent exploitables et ne produisent que 6 mois après la taille.
La cueillette est permanente et couvre chaque semaine la totalité des plants ; elle se fait de bas en haut de la pente, par des équipes de femmes exclusivement. Le contenu d'une récolte quotidienne pèse de l'ordre de 20 kg (feuilles tendres les plus récentes et bourgeons), mais dont on dit qu'il peut aller jusqu'à 35kg.
Ces femmes sont généralement des "tamoules indiennes" de la 3ème génération, de cette main d'oeuvre importée par les Anglais depuis l'Inde à l'époque coloniale, et qui ne sont pas les Tamouls "cinghalais" du nord, implantés bien avant.
En voici une ci-contre avec son sac de feuilles qu'elle porte sur la tête.
Hasard du moment, nous n'en verrons pas dans les champs.
Les cueilleuses ramènent ainsi chaque jour leur sac plein vers un lieu où un camion plateau passera pour les ramasser, vers le traitement, qui ne souffre aucun retard.
Même approprié, le terme français de "cueillette" a quelque chose de délicat qui rappelle la fraîche enfance de la saison des cerises ou des fraises.
Rien à voir avec le côté harassant et répétitif de nos cueilleuses tamoules.
Malgré le savoir faire des cueilleuses dont la facile dextérité est proverbiale, et par respect pour le visage fatigué résigné de celle-là, on éprouve quelque scrupule même à prendre la pose au-dessus des feuilles vertes, pour la seule photo souvenir.
On imagine avec quelle difficulté elles se faufilent au milieu des branches feuillues entre les pieds denses et étroits (10 000 plants par hectare), pour cueillir, et cueillir encore, puisqu'il n'est pas possible d'atteindre tous les pieds depuis les seuls passages de culture, trop espacés.
Mais plus loin, d'autres plantations semblent mieux accessibles pour la cueillette.
et pour en savoir (un peu ) plus sur le thé
Question : quelle est la 2nde boisson la plus bue au monde après l'eau? Pas les sodas, ni les alcools, ni les infusions, mais le thé. Ce qui se traduit par l'absorption par l'humanité de 15 000 à 25 000 tasses de thé par seconde dans le monde,... selon la contenance de la tasse.
L'arbre à thé ou théier présente trois variétés : Assam, Yunnan, Cambodgien.
C'est la première qui est la plus adaptée au climat chaud et humide comme celui du Sri Lanka.
Le Yunnan est surtout produit en Asie du nord.
Originaire d'Asie, le thé est exporté dans le monde arabe dès le 9ème siècle, puis en Europe par les Portugais au 16ème et les Hollandais à partir de 1606.
A Ceylan, de 1865 à 1890, le petit champignon nommé "rouille du café" détruit toutes les plantations de café introduites par les Hollandais en 1834. Cette dévastation s'ajoute à l'effondrement du prix du café à partir de 1850.
La plantation d'une première bouture à Kandy en 1824 (ou 1839?) prouve la capacité d'adaptation du thé dans l'île.
Un peu plus tard, deux écossais croisent leurs destins autour de cette culture.
James Taylor, arrivé à Ceylan à 17 ans en 1852, plante en 1867 (et non en 1857 comme le prétendent certaines sources) des boutures de thé sur 8 hectares (19 acres) des hauteurs du centre de l'île à Loolecondera, entre Kandy capitale d'un ancien royaume et Nuwara Eliya plus au sud.
L'acclimatation est totale et la réussite éclatante. Celle de Taylor beaucoup moins puisqu'il meurt en 1892 ruiné et malade, sans avoir pu exploiter le potentiel commercial de ses boutures.
En effet, le thé supplante alors en 20 ans le café dans les plantations et connaît un vif succès à l'export. C'est à un autre Ecossais de Glasgow, né de parents Irlandais, Thomas Lipton (ci-contre à droite), que revient la gloire de faire fructifier mondialement la culture du thé. Déjà millionnaire pour avoir développé des chaînes de magasins en Angleterre et aux USA, cet avenant dandy sportsman (il a participé à l'"America Cup") rencontre Taylor à Ceylan en 1890, achète les plantations de café aux exploitants ruinés, qu'il reconvertit en plantations de thé. Et s'enrichit démesurément ; seul son nom et pas celui de son compatriote reste illustre.
Outre le climat tropical, toutes les conditions sont réunies ici : altitude (qui tempère le climat et module le goût du thé obtenu), la terre acide et ferrugineuse, la pluviométrie, les pentes qui évitent de saturer les sols en eau.
Les Anglais mettent en place le système de recrutement des travailleurs du thé nommé le "système cangany" : le "cangany" est lui-même indien Tamoul (pas Tamoul cinghalais ancestral), qui, payé par les Anglais, va recruter en Inde des travailleurs du thé, puis sur place les administre et surveille le travail (ci-contre, un cangany surveillant deux cueilleuses en 1894, et dans la photo au-dessus un groupe de migrants). Les cinghalais refusent en général d'assurer ces tâches.
Les différents types de thé ne dépendent que très peu des "cépages", mais essentiellement de deux paramètres :
- que cueille-t-on ; on distingue en effet la cueillette "impériale" qui ne prélève que le bourgeon, appelé "pekoe", la cueillette "fine" avec le pekoe + 2 jeunes feuilles, et la cueillette "normale" avec le pekoe et au moins 3 feuilles jeunes.
- et surtout comment est ensuite traitée la cueillette.
Au total, on distingue jusqu'aux 8 étapes suivantes :
I- cueillette
II- flétrissage (séchage naturel des feuilles fraîches pendant 18 à 32h)
III- dessication
IV- oxydation (chauffage et humidité pendant 1 à 3h)
V- roulage (30 mn pour mieux permettre la fermentation)
VI- séchage (20 mn pour stopper la fermentation)
VII- triage ou tamisage
VIII- cuisson ou torréfaction.
Selon les variétés souhaitées, certaines en sont exclues, par exemple l'oxydation pour le thé vert, ou bien écourtées, aménagées...
Cette présentation lapidaire ne doit pas faire oublier l'infinité de nuances de toutes sortes, dont les asiatiques sont experts, et qui font le comble du raffinement : grades pour le thé noir, variétés intermédiaires, altitude, aromatisation, assemblages, "périodes de surgoût"....
Ainsi en est-il pour le seul thé noir, selon les feuilles cueillies au-delà du pekoe (illustration ci-dessus)...
Les principales variétés de thé sont les suivantes :
- thé noir à cause de la couleur noire de ses feuilles, mais qui est appelé thé rouge par les Chinois du fait de la couleur de l'infusion
- thé vert, qui ne subit pas l'étape IV d'oxydation
- thé Oolong (ou Wulong), thé semi-oxydé entre thé vert et thé noir, appelé thé bleu-vert en Chine
- thé jaune, issu des seuls bourgeons, chinois seulement, légèrement fermenté, goût fin et délicat, rare
- thé blanc, chinois seulement, très délicat, avec une très légère oxydation, issu du bourgeon et 3 feuilles
- thé post-fermenté, celui-là que les Chinois nomment "thé noir", appelé thé "sombre" ou thé "noir-noir" par les Occidentaux. Il résulte d'une méthode d'oxydation particulière. Après torréfaction, il est compressé et conservé des années pour une longue fermentation. Il est donc millésimé.
Le Sri Lanka produit surtout les thés vert et noir, de très bonne qualité. Pourtant, les 6 grandes régions productrices et les jardins délivrent des "caractères et des saveurs particulières". L'île est l'un des seuls pays producteurs où la cueillette se fait à longueur d'année.