Québec..., et voici Tadoussac
Quittons la route 362, pour reprendre la 138, après avoir bifurqué à droite toute sur un pont qui traverse la Malbaie (la rivière). Et hardi petit gars! Nouvelle montée à l'assaut du Bouclier Canadien que l'on retrouve sur les falaises dominant le fleuve, puisqu'on vient de quitter l'astroblème.
A part le fleuve immense et omniprésent, on ne voit depuis la route que quelques villages traversés. Immédiatement après la première montée. Un curieux clocher aiguisé comme une mine de crayon juchée sur un moderne campanile en claire-voie émerge seul au-dessus de l'horizon, un peu comme les maisons blanches des crêtes de Santorin ; c'est celui de l'église de Cap à l'Aigle. L'autre rive est ici à plus de 20 km à vol d'oiseau.
Puis voici peu après St-Fidèle, sa pimpante église et son presbytère qui dominent sur leur modeste colline les maisons du village.
Plus loin à St-Siméon, la vallée de la Rivière Noire est enfouie sous une laine de brume qui s'effiloche et masque aussi le St-Laurent.
Puis la route s'éloigne du fleuve, épouse les bosses du relief, à peine sinueuse, appelant à l'aventure comme une transcontinentale. On longe comme à maintes reprises l'un de ces très nombreux lacs qui trouent le Bouclier.
Enfin avant d'arriver à Sainte-Catherine, la route retrouve progressivement le fleuve.
Des hauteurs de ce qui est maintenant une falaise, nous atteignons le promontoire qui domine au Sud l'embouchure de la grande rivière Saguenay, d'où, dit-on, on peut apercevoir parfois les grands cétacés du fleuve.
Et nous voilà juste après dévalant la route qui descend vers le quai du traversier, puisqu'aucun pont n'existe pour atteindre Tadoussac sur l'autre rive. Comme tous, nous nous rangeons sagement dans la file d'attente ; le couple de petits ferries effectue l'aller retour avec un beau synchronisme, l'un dans un sens l'autre dans l'autre, ballet huilé toutes les 20 mn, presque sans autre bruit que les coups de corne de brume.
Car une couche de brouillard étouffe un peu les bruits, flotte au-dessus de l'eau et fait du traversier un vaisseau fantôme émergeant soudain mystérieusement de l'épais coton blanc.
Plusieurs projets de pont ont été rejetées et donnent encore lieu fin 2016 à des polémiques, mettant en cause le corporatisme des entreprise de traversiers.
Certains veulent promouvoir par exemple un pont suspendu à la manière de celui de Hardanger en Norvège.
Faut-il pourtant le regretter dans la situation actuelle? Le seul passage par bateau impose de fait une régulation qui préserve peut-être l'authenticité du site. En tout cas de manière beaucoup plus pacifique que, par exemple, le dynamitage des habitations privées le long des côtes corses... Mais la longue file des camions chargés de bois vers Sainte-Catherine s'impatiente peut-être.
Et nous voici rendus dans cette nouvelle escale.
Notre hébergement est en retrait de la rive du fleuve au « Domaine des Dunes », un centre de villégiature tenu par des suisses, qui offre des places pour le camping en tentes, d’autres pour les camping-cars, et de superbes petits chalets très bien équipés, répartis dans les pentes d’une colline.
Celui que nous avons choisi, nommé « Canards huppés » vers le sommet de la colline n'est accessible que par une piste mi-bitume mi-pierraille bien abrupte dans laquelle il faut lancer le véhicule. A travers une trouée de la forêt composée surtout de bouleaux, on aperçoit une partie de la baie de Tadoussac au loin.
Parfait et moderne équipement, y compris une baignoire dont la fonction jacusi paraît un peu inutile et un poêle à bois "pour le fun" (puisque le chauffage électrique est parfait, aisément réglable, d'une enviable efficacité par rapport à nos appartements parisiens...).
Issu des panneaux d'information du parc ornithologique : « L’estuaire du Saint-Laurent a ici une profondeur qui peut dépasser 300m. Il reçoit en surface les eaux douces du fleuve et en profondeur les eaux froides et salées du golfe. Le brassage entre ces dernières qui remontent vers la surface et les eaux douces attirent les mammifères marins et permet un grande disponibilité des proies à la surface pour plusieurs espèces d’oiseaux marins (150 espèces ici) ». C’est ce qui fait l’attrait de ce parc juste au nord le long de la rive qui domine de ses hauteurs rocheuses les eaux du fleuve et les vasières à leur pied, sous une pluie battante.
Manifestement, les oiseaux se protègent de la pluie et ne se montrent pas.
Sous un ciel très changeant, Tadoussac, le tout petit village fait sa coquette, étale ses couleurs même sous la pluie, puis soudain s’assèche et éclate de beaux contrastes quand vient le soleil et la pureté unique et vibrante de la lumière.
Aussi bien la vieille chapelle protestante que la plus ancienne église catholique au toit rouge sur la petite baie qui est aussi le port, l’ancien et toujours présent hôtel de prestige voisin de cette dernière, « l’Hôtel Tadoussac », font un cadre d’un pittoresque remarquable. On déambule à pied sur des chemins qui s’enfoncent en sous-bois ou sur les petites routes bitumées, passant aussi devant de belles maisons anciennes maintenant gîtes, dont chacune semble avoir une histoire (exemple la "maison Hovington").
Le beau parcours à travers et autour du promontoire rocheux qui s’avance vers le sud de l’embouchure est un moment rare de sérénité. Contemplation d’une très authentique nature qui se donne à voir dans sa splendeur sauvage et paisible, sur des amas de rochers érodés qui sont chacun une oeuvre d'art naturelle.
Les diverses petites boutiques, quelques cafés et restaurants à l’intérieur chaleureux étalent encore malgré une température frisquette de belles terrasses, mais s’entourent de publicités plutôt tapageuses ou de représentations très appuyées de l’ancienne présence amérindienne et des mammifères marins qui peuplent l’estuaire.
On note aussi que la faune sauvage même la plus imposante vit dans les parages : une file de voiture arrêtée le long de la petite route qui conduit depuis notre hébergement jusqu'à Tadoussac nous intrigue un jour.
Avant de longer un golf bien mouillé de rosée, au-delà de quelques champs forestiers un peu cultivés latéralement, à l'orée d'une forêt sombre et épaisse qui part à l'assaut de la colline, un groupe de jeunes gens a aperçu un ours noir qui baguenaudait.
Nous-mêmes n'en verrons rien.
Au Québec, bélugas par ci, ... mais bélugas pas là!
L'embouchure du Saguenay et sa confluence avec le St-Laurent est, on l'a vu un milieu très propice à la diversité de la faune.
Un peu en amont, la rivière Sainte-Marguerite se déverse en oblique sur la rivière Saguenay et son fjord.
Plus loin, par la route qui sinue à distance de la rivière par la rive Nord, c’est le village de Sacré-Cœur, banal et sans attrait, qui marque une étape sur l’âpre et bas plateau, où des fermes se succèdent dans un paysage que l’on devine très inhospitalier, voire même mortifère dans la rigueur hivernale.
Nous voici ensuite à Baie-Sainte-Marguerite, un site protégé d’où on accède au Saguenay après un peu plus de 3km de marche. Le parcours aménagé franchit parfois des passages de planches au milieu de bouquets d’écorce blanche de vigoureux bouleaux et de clairières aux mousses d’argent mouillées de fougères, longe de courtes hauteurs de roches ruisselantes, dévoile de petites îles ou des éperons bas couverts de sombres épineux qui font sur l’eau des images noir et blanc, dégageant enfin un belvédère sur l’embouchure envasée de la rivière du même nom.
Au long de ce chemin, avec de bons efforts pédagogiques, des panneaux dispersés racontent l’histoire de la région avant et après l’arrivée des français. Dure vie où l’homme est venu exploiter la richesse forestière, pour l’abandonner ensuite au début du 20ème siècle.
A propos de son anatomie : son « melon », cette proéminence qui lui fait comme un gros nez, plus enflée que celle de certains dauphins par exemple, lui permet de se repérer par écholocalisation en eaux profondes et sombres ou sous la glace avec une étonnnate efficacité ; sa courte nageoire dorsale peut briser jusqu’à 8 cm d’épaisseur de glace. Adulte (entre 8 et 14 ans) à la maturité sexuelle, il prend sa couleur blanche après en avoir vu de toutes les couleurs, ou presque : café au lait à la naissance puis gris-bleu vers 2 ans.
Il peut vivre jusqu’à 60 ans et mesure de 3 à 5 m pour un poids d’un peu moins de 2 tonnes. L’espèce est menacée ; la femelle ne met bas qu’une fois tous les 3 ans environ et donne naissance à un seul petit à la fois après une gestation de 58 semaines.
On en comptait dans cet estuaire environ 1100 en 2003 (combien aujourd’hui??), pour 8000 à 10 000 en 1885.
Car dans les années 1920-30, on les nommait « les démons blancs ». Les pêcheurs les tenaient pour des gloutons de la mer, croyant qu’ils avalaient des tonnes de saumons et de morues nuisant à la pêche commerciale. Ce qui donna alors lieu à une vraie campagne d’éradication ; pourtant aujourd’hui on sait qu’il n'en était rien et qu'ils n’étaient pas les voraces que l’on croyait. La chasse (et non la pêche) en fut interdite.
Mais aujourd'hui, il est exposé à la pollution marine, avec un taux de cancer voisin de celui de l'homme.
Trop tard donc peut-être pour en faire « le cétacé sacré du Saint-Laurent », même si le Parc marin du Saguenay-Saint-Laurent le protège avec soin depuis 2002.
La variété des sons émis le font nommer « le canari des mers ».
Quant à elle, la Baie-Sainte-Marguerite avec ses hauts fonds de sable, une eau douce et moins froide, de la nourriture (petits poissons et invertébrés), est propice à la mise bas et à l’élevage des petits.
Puis parvenus sur la rive rocheuse très sauvage, d’autres panneaux déroulent des informations sur ces petits mammifères marins, une variété de cétacés appelée « bélugas » qui se caractérisent par leur couleur blanche. Mais las, là point de bélugas, malgré une attentive et longue scrutation des eaux. Et pour cause, c’est en été qu’ils viennent y batifoler.
Ce n'est qu'ailleurs que nous en verrons quelques dos blancs, sporadiques comme de minuscules récifs d’ivoire, le matin pluvieux du lendemain dans les brumes du fleuve depuis un bateau de croisière partant de Tadoussac.
Pourtant le destin des bélugas du Saguenay (ou du St-Laurent) est original : cette espèce arctique trouve dans l'estuaire du St-Laurent des conditions boréales presque conformes à leur milieu naturel originel. Heureux hasard, car lors de la dernière glaciation il y a 8000 ans, ces populations ont été coupées de leur milieu arctique natif ; et se sont accommodées du milieu actuel.
On a donc ici les populations de bélugas les plus au sud de la planète.
Le reste vit au Yukon, en baie d'Hudson, en mer de Behring, en mer de Beaufort... et sont encore chassés par la Norvège et le Japon, sur lesquels on peut compter pour repeupler.
Son nom vient du russe "beloye" qui signifie "blanc".
Bien sûr, ce sont les russes, pour ajouter à la clarté, qui ont aussi donné ce nom à une variété réputée d'esturgeon, un esturgeon blanc le plus grand du monde et réputé pour la qualité de son caviar ; donc en voie d'extinction, et dite "esturgeon béluga". A ne pas confondre, donc, avec le colibri des mers du St-Laurent... qui lui n'est pas un poisson, mais bien un mammifère cétacé, capable de faire de petits bélugas, mais pas du caviar.
Tadoussac, glaciale embouchure du Saguenay, cétacés discrets
Il faudrait savoir bien choisir son temps (l'agenda), en fonction du temps (le climat). Exercice dans lequel nous n'excellons pas... du tout.
En tout cas, le ressenti des froidures humides de la veille au soir nous avait incité à ne pas engager la croisière des cétacés en Zodiac dans l'estuaire du St-Laurent face à Tadoussac. Bien nous en a pris puisqu'un couple de jeunes belges s'est vu décommander sa réservation pour cause de mer trop creuse, formée comme disent les marins. Nous étions bien informés de l'effet glacial des vents sur l'estuaire, et des températures bien différenciées de celles de la côte.
Donc, prudemment, nous réservons une croisière dans l'un de ces bateaux capables d'accueillir jusqu'à 750 personnes, en choisissant la 1/2 journée du matin (pile ou face) plutôt que celle de l'après-midi.
Au rdv, pluie battante au bord du quai. Mais personne d'autre que nous, ou presque. Délice... Puis les bus débarquent, plusieurs bus qui de fait viennent remplir le bateau, québécois, anglophones canadiens et américains, français moins bruyants que de coutume....
Partis pour le large estuaire au son somme toute discret mais bien appuyé des moteurs diesel manoeuvrants, nous voici à la recherche de la faune marine à travers la brume, nous-mêmes soigneusement protégés à l'intérieur des vitres épaisses que l'équipage vient enduire d'un produit qui retarde la formation de la buée. Pluie, brouillard, vent glacial, tout y est! Ce qui n'empêche pas certains, très bien vêtus, ou ceux auxquels le jeune âge apporte son flux sanguin, de se porter sur les coursives à l'extérieur, masquant bien sûr la vision de ceux qui restent à l'intérieur.
Finalement, ici et là, ce sont des phoques dont seule émerge la tête, curieux comme les vaches qui regardaient les trains à vapeur d'avant, qui viennent sur le dos rigoler au passage de ces humains frigorifiés qui les observent. Malgré le bruit des moteurs qui s'arrêtent, reprennent, cherchant LE spectacle au gré de l'expérience de la vigie et du capitaine.
Près de l'entrée de la baie de Tadoussac, ce sont des fuseaux blancs ténus et fugaces qui émergent ici et là : "une gang" de bélugas discrets trop discrets.
Même par ce temps-là, les oiseaux filent au-dessus de la surface, la frôlent, semblent en jouer, mais guettent surtout les bancs dans les remous tournoyants. A peine visible à travers le brouillard, on finit par distinguer le fameux phare de haut-fond Prince, fantôme debout qui semble un immense calice au pied épais (photo inutile ce jour-là).
Enfin, grand mouvement de foule et cris sur le pont extérieur : un modeste banc de petits cétacés fend sans se presser de ses luisantes et noires dorsales la surface de l'eau, sans éprouver le moindre enthousiasme et moins encore bondir d'allégresse au-dessus les flots. "Y a d'autres saisons pour ça ; on va quand même pas leur faire le spectacle!" se disent, blasées, les baleines. Ici bien modestes, probablement des globicéphales?
Une scientifique apporte une somme de commentaires sur le contexte, mais parfois difficilement audibles ; son discours mériterait un document rassemblant toutes ces bonnes informations.
Donc à peine entraperçue, la faune de l'estuaire...
Pourtant quelques semaines avant notre venue, une baleine à bosse manque de renverser un Zodiac en refaisant surface. Peut-être voulait-elle seulement jouer avec ses lointains cousins mammifères.
Maigre bilan pour nous, mais très intéressante expérience. A quand cependant des bateaux électriques, qui seraient, là comme sur tous les sites mondiaux d'observation des cétacés et quelles que soient les latitudes, beaucoup plus discrets et respectueux de ces populations marines? Nous sommes en effet souvent bien en-deçà des 400 m imposés par la réglementation locale ; mais il est vrai comment, dans cette brume disparate, voir sans s'approcher?
En 1705, le père jésuite Charlevoix observe de son bateau "le Héros", mouillé près de Tadoussac, 4 baleines "qui étaient presque de la longueur de son vaisseau".
Puis, comme une nique, le ciel s'éclaire d'un seul coup un peu après que nous ayons touché terre ; l'après-midi sera émollient et somptueux de couleurs comme un avenir prometteur, après cet épisode hostile, astringent et noyé dans la monochromie de nuances de gris.