Mercantour,
la Vallée des Merveilles
Vallée des Merveilles,
le plus confortable des moyens d'accès
pour les fainéants que nous sommes
Au nord-est du département, une superbe découverte nous attend dans les hauteurs en arrière du fameux sommet le plus élevé de la région au moins du côté français, celui du Mt Gélas.
Centrée autour de son voisin le Mt Bégo, c'est la Vallée des Merveilles.
Elle s'inscrit bien sûr dans le parc national du Mercantour.
Ainsi nommée non pas seulement du fait de la beauté de ce site élevé, mais en raison surtout des innombrables gravures rupestres qui s'y trouvent dispersées depuis leur création quelque 2000 ou 3000 ans avant notre ère.
Et qui évoquent, d'après tous les spécialistes, les "sortilèges" de la nature, ce qui donne ici son sens au mot "Merveilles".
Plusieurs accès sont possibles, par le sud depuis l'Authion, par l'ouest depuis le haut de la vallée de la Gordolasque.
Nous avons choisi de visiter le site, très bien protégé, depuis l'est par St-Dalmas de Tende avec un guide professionnel passionné de sa région, parmi les quelques-uns qui en ont reçu l'agrément officiel.
Son nom, Franck Panza.
Il offre sur internet son propre site à l'adresse "www.panzamerveilles.com".
Pour de modestes marcheurs comme nous, c'est la solution la plus facile parce que l'arrivée au refuge se fait en 4x4.
Il nous y conduira à partir de notre point de RdV à l'arrière de l'ancienne gare monumentale du plus pur style mussolinien, qui apparaît complètement disproportionnée pour ce village, mais qui ne manque pas d'allure.
Nous mettrons à peu près une heure et demie pour atteindre le refuge, d'abord sur une route bitumée puis sur une piste cimentée très pentue, enfin sur une vieille piste muletière .
On surplombe en passant un lac de barrage, celui de Mesches à 1370m, construit par l'Italie en 1915, au-dessous d'une ancienne mine, la Minière de Vallauria.
C'était depuis le Moyen-Âge (11ème et 12ème siècle) une mine de plomb argentifère et de zinc, reprise ensuite depuis le 18ème jusqu'en 1927 pour la galène puis le zinc. Le hameau restauré est maintenant un gîte-étape.
Peut-être la mine, qui semble par son histoire être riche d'information et de témoignages historiques et techniques, sera-t-elle bientôt visitable.
Ensuite, la piste muletière tracée sur ordre du Duce vers 1930, assez escarpée dans la montagne, sinue entre les pentes de mélèzes encombrées de rochers erratiques (déposés par le glacier lors de sa fonte, donc sans relation avec la nature des roches du fond).
Puis le bas de la vallée profonde remonte ; la vallée s'évase et laisse serpenter de petits torrents. On pénètre enfin dans le parc dont la limite est bien matérialisée, avant de parvenir au refuge très fréquenté de la Vallée.
Il aura souvent été nécessaire à notre guide-chauffeur de manoeuvrer avec une habileté que l'on sent très habituelle et sûre, pour franchir d'impressionnantes épingles à cheveu aigues que forme plusieurs fois la piste.
Impossible aussi que deux véhicules se croisent ; on fait confiance au sens unique naturel quotidien (montée le matin et descente l'après-midi) ainsi qu'au au petit nombre de véhicules concernés.
Beaucoup, la plupart (mais pas tous) plus jeunes, plus courageux et entraînés montent à pied, longuement. On les croise sur la piste, ahanant, nous autres à peine effleurés par un sentiment de jouissif confort égoïste et pas du tout coupable. Sauf pour le bruit et leur esquive sur le bord de piste pour nous laisser le passage.
L'entrée du parc national, ici
Vers le refuge par la vieille piste empierrée
Mercantour,
les merveilles de la Vallée
Le Refuge au bord du lac Long supérieur
Au refuge commence pour notre petit groupe (nous sommes deux couples avec notre accompagnateur) la tranquille randonnée à travers le plateau morainique au-dessus du lac voisin du refuge, le lac Long Supérieur.
La diversité de la couleur des roches, vive comme au premier jour, est remarquable.
Ici et là, un chamois nous observe, broute un peu puis repart, serein.
D'énormes rochers râpés, usés, polis, rompus dans le sens du mouvement de l'irrésistible et multimillénaire ancien glacier, forment une mer fantastique de "ventres de baleines", que les géologues appellent "roches moutonnées".
Les sommets environnants dressés font apparaître à la fois les raisons qui ont fait du site une sorte de refuge inaccessible, une forteresse naturelle, mais aussi celles qui le rendaient inhospitalier, traduisant les efforts d'adaptation qu'il a fallu à ceux qui l'ont investi au cours des siècles.
Au loin se profile, à travers d'autres sommets plus proches, le cône massif du Mont Bego.
On dit qu'il est si chargé de minerai de fer que les orages libèrent ici 10 fois plus d'éclairs qu'ailleurs.
Les terribles fracas du tonnerre qui rebondit entre les parois rocheuses des cirques, les flèches zébrées des éclairs que l'on dit d'une puissance inouïe, la pluie, les nuages et le vent en font alors, même d'après les témoignages modernes, un spectacle d'enfer... et de sortilèges (parmi les "merveilles" de la Vallée en question).
Les archéologues, historiens, scientifiques qui se sont penchés sur le site disent que des générations successives d'occupants de la fin du Néolithique puis de l'Âge de bronze, pasteurs faisant paître leur bétail dans l'épaisse prairie au bord des lacs, en étaient si impressionnés qu'ils ont voulu graver à leur manière dans la roche leur croyance : une sorte de dieu terrible, un Zeus local, le Tonnerre, dont l'Olympe serait le Mont Bego.
Avec en contrepoint d'autres gravures dédiées à la Terre-Mère, ses pâturages et ses troupeaux.
Sur les surfaces abrasées du schiste orangé ou du grès, ce sont ainsi jusqu'à 100 000 gravures qui ont été répertoriées entre les vallées des Merveilles et de Fontanalbe.
Leur valeur culturelle et historique est telle que le site est déclaré "Monument Historique Naturel" en 1989, le plus grand site à ciel ouvert européen de gravures rupestres. Gravures mentionnées dès le 16ème siècle.
Le Mont Bego 2872m
Le Refuge "des Savants"
Le Mont des Merveilles 2720m
La toponymie des lieux illustre aussi cette ancienne perception"infernale" : "Val d'Enfer", "Pic du Diable", "Lac Carbon" (lac noir), "Lac du Tram" (du tremblement)...
Même aux époques plus modernes, le site paraissait encore si inquiétant que ses pâturages étaient les seuls à être d'accès libre dans la région.
Au titre de ce statut très estimable de "Monument Historique Naturel", le site est extrêmement protégé, d'autant qu'avant de le devenir, il a été l'objet de vandalisme.
Un gardien débonnaire au regard acéré, posté par habitude sur un rocher, scrute attentivement le comportement des visiteurs, à qui il est interdit de sortir des sentiers balisés, sauf indication de leur accompagnateur quand ils en ont un.
Vallée des Merveilles,
quelques-unes des gravures rupestres
Avec les outils rudimentaires de leur époque, entre 3900 et 1900 avant JC, par percussion et martelage, pasteurs et agriculteurs ont donc marqué ici la pierre dure (on croit qu'il est facile de décoller la couche gravée : il n'en est rien) de symboles souvent répétitifs, qui s'épanouissent, se simplifient, deviennent parfois une chaîne de symboles dépouillés évoquant les écritures hittites, mayas ou celles des peuplades africaines anciennes, sans toutefois parvenir à une syntaxe organisée, établie, intelligible.
Les pétroglyphes les plus explicites ont été nommés en fonction de leur support, de leur situation, de la nature supposée ou inventée de ce qu'elles représentent...
La tête de taureau aux cornes démesurées qu'on prendrait bien pour celles du cerf "Megalocerus giganteus" s'il n'avait disparu 5000 ans avant JC, des parcelles de terrain, des silhouettes humaines simplifiées... deviennent pour les spécialistes "corniformes", "anthropomorphes", "en poignards ou en fléaux", ... ou bien simplement "non représentatives".
Certains ont émis l'hypothèse d'un langage religieux que d'autres contestent.
Diaporama de gravures rupestres
de la Vallée des Merveilles
Celles que nous avons pu voir (limitées à la seule Vallée des Merveilles) répètent des motifs que les exégètes ont, avec le grand archéologue Henry de Lumley, analysés, répertoriés, classés statistiquement.
Les principales sont rassemblées dans le tableau joint.
Le tout se complique car d'autres gravures plus récentes, mais non moins estimables, probablement du Haut Moyen-Âge viennent troubler l'interprétation et témoigner d'autres passages dans le coin.
On les trouve dans une sorte de défilé en auge, sur le parcours de la visite. Là se dresse à gauche dans le sens de la montée un véritable mur de roche noire polie par l'ancien glacier, au pied duquel passait et passe encore aujourd'hui le sentier, celui du col.
Outre les gravures fines et peu visibles que l'on dit du Moyen Âge, les passants s'en sont donné à coeur-joie, laissant leur nom, parfois la date de leur venue, majoritairement au 19ème siècle.
Franck Panza nous explique que certains étaient contrebandiers, bergers, prêtres, bandits (comme Bensa en 1829), d'autres militaires de passage, d'autres encore peut-être colporteurs.
La fresque est en tout cas presque émouvante, plus explicite que les pétroglyphes pourtant tout autant touchants dans leur total et ancien anonymat.
Après avoir croisé deux ou trois marmottes et un chamois encore, le sentier bien tracé où le pied cherche son appui entre les éclats de rochers qui semblent détachés du jour, se faufile entre fleurs, champignons nains de pierrailles et petits massifs d'herbe et de mousse qui parfois patine la pierre comme une rouille de faille.
Le retour de cette journée bien remplie se fera après une pause au refuge par le même chemin avec notre robuste 4x4.
Merci Franck.