Arizona, Utah,
en passant par Monument Valley,
bientôt Bluff sur la rivière San Juan
Depuis Page en direction du sud puis de l'est, la route 98 traverse d'autres déserts bistre, d'autres plateaux, puis rejoint la route 160 en direction de Kayenta vers le nord-est.
avant le carrefour de Kayenta en direction de l'est sur la 160
Plus loin, après Kayenta sur la 163 se dresse à l'écart de la route un mont isolé, dentelé, nommé "El Capitan".
Enfin se dessinent les colossaux plateaux isolés comme d'inexpugnables forteresses, qui préfigurent l'arrivée au fameux parc de "Monument Valley".
Où qu’on aille alors, les employés et la population sont presque exclusivement des indiens Navajos.
Ce parcours vers Bluff depuis Page passe exactement à l’intersection de la 163 avec celle qui mène au Visitor Center de "Monument Valley", 6 miles en retrait vers l'est.
C’est aussi là que la frontière rectiligne, qui épouse un parallèle, sépare l'Utah au nord de l’Arizona au sud.
Le panorama des fameux profils du plateau rouge et de ces "temples" dressés et isolés est aussi remarquable que l'idée qu'on pouvait jusque-là s'en faire.
Arizona au nord,
fines négociations Navajos
Nous voulons réserver en passant là une visite guidée en 4X4 dans Monument Valley pour le lendemain matin, après une nuit passée à Bluff, un gros village quelque 85 km au-delà vers le nord-est.
Visitor Center
Ces visites guidées sont exclusivement assurées par de petites équipes de Navajos, qui accueillent les touristes en contrebas du grand parking du Visitor Center dans de petites cahutes-guichets.
Au passage, le parc de Monument Valley n'appartient pas aux Grands Parcs Nationaux.
Il ne bénéficie donc pas du Pass annuel délivré pour ces derniers, que nous avons acheté 80$, un montant très avantageux quand on multiple les visites.
Cependant ici pour 20$, l’accès est possible 2 jours consécutifs.
Comme il l'est recommandé, nous tentons de négocier le montant de notre visite pour le lendemain.
Notre interlocuteur Navajo est d'une mauvaise foi manifeste : 10$ seulement d'écart par personne entre le tour de 1h30 et celui de 2h30, celui que nous choisissons (110$ au lieu de 120$/personne).
Mais surtout, dès qu’il apprend que nous ne voulons pas réserver pour le jour même, il décrit pour le lendemain un temps cataclysmique, exécrable, du vent, la tempête !!!
Comme le disent le soir à la chandelle les Navajos dans leur mobil home en comptant leurs entrées, « indien vaut mieux que deux tu l’auras ».
La tension retombe quand une femme Navajo qui gère les affaires reprend chaleureusement les choses en mains ; vive la culture matrilinéaire Navajo.
Avec elle la transaction, moins tortueuse est vite conclue. Ce sera 100$/personne (nous sommes de piètres marchandeurs) pour le tour de 2h30.
Et le temps du lendemain sera... parfait.
Mais il aurait fallu négocier plus serré : en fait de 2h30, ce sera sans qu’on y puisse grand-chose à peine plus de 2h, mais deux belles heures bien denses sur certains chemins inaccessibles aux voitures de tourisme comme la nôtre.
Notre guide, Daniel, est courtois et peu disert.
Pourtant, sortant enfin… de sa réserve, on apprend au bout de plus d’une heure qu’il a visité Paris quand il avait 9 ans et qu’il a subi de tragiques événements familiaux il y a plusieurs années.
A la fin du tour, retrouvant impassibilité et retenue, il ne manquera pas de nous passer sa carte « Trip Advisor » pour que nous contribuions si possible à accroître sa notoriété.
Hommage à vous Daniel!!!
Utah,
le difficile chemin
de la rivière San Juan
Dans la direction de Bluff, avant de rejoindre en aval le Glenn Canyon et le lac Powell, la rivière San Juan, éternellement obstinée, a dû se créer un passage au travers du plateau, et ne cesse de se tortiller en méandres étroits.
Ce passage appelé « Gooseneck State Park » (le parc du cou d'oie ; l'ondulation du serpent conviendrait mieux), est profond ici de 300 mètres.
Les méandres sont si resserrés que la rivière, dans la roche dure, ne progresse que de 2,5 km à vol d'oiseau sur une longueur du lit de 10 km, tranchant les strates noires avec une précision de scalpel le plateau supérieur ocre.
Somptueux et ingrat paysage anthracite que l’on atteint par une route étroite à l'écart de la 163, pour parvenir au belvédère dénudé.
Certains hardis randonneurs à demi alpinistes, dont les compagnes parlent français et savourent le silence sous un léger auvent face au panorama, sont descendus dans le profondeur vertigineuse d’un méandre ériger un cairn.
Ici, on s'en doute, le climat est aride, et les averses d’orages entre juillet et octobre, la période sèche en hiver et au printemps, ne délivrent que 16 cm d’eau par an (au moins 5 fois moins que notre moyenne hexagonale).
Les températures extrêmes sont de -19°C et +43°C, et les températures moyennes varient entre -1°C et +31°C, pour une altitude d’environ 1700m.
Sur la route vers notre hébergement à Bluff, les reliefs plissés se parent de strates nettes entre le blanc, le verdâtre, le bleu léger et l’ocre estompé, qui font un tableau aux traits de pinceau vigoureux comme ceux de Van Gogh.
On regrette de ne pas les voir au lever ou au coucher du soleil.
Evitons aussi de nous retourner pour n'avoir pas à s'arracher au charme des plateaux infinis, cousins voisins de ceux de Monument Valley.
Des ânes, libres comme Navajos vagabonds, broutent paisiblement une herbe très maigre sur le côté de la route.
Le long ruban épouse en lentes courbes le relief, à distance de la vallée de la rivière San Juan juste au sud, puis plonge dans le canyon de celle-ci.
Elle franchit ses eaux un peu au nord du rocher célèbre intitulé « Mexican Hat ».
Une sorte de haute pyramide naturelle dont l’extrême sommet est coiffé d’un large rocher transversal presque horizontal, en miraculeux équilibre sur un tout petit bloc noir. C'est le fameux « chapeau mexicain ».
Utah, Bluff village mormon
paisible et accueillant
Dans l'axe de son parcours vers l'est, la 163 se fond dans la 191 venue du sud, aussi nommée "Mexican Water Road".
Tout petit village sur cette route, dans une large vallée encadrée de courtes falaises ocres où s'écoule la rivière San Juan, voici Bluff.
On y remarque surtout une sorte de musée mormon parfaitement tenu, où sont reproduites avec un souci exigeant du détail les maisons d’un groupe de pèlerins aboutis là au 19ème siècle après un difficile périple à travers des chemins impossibles. Il est nommé « le Fort de Bluff ».
Le vaste immeuble de bois à l'entrée reproduit au RdC un grand magasin. Deux homme et quelques femmes âgés habillés en costume du début 20ème accueillent avec chaleur et un beau sens de l'hospitalité. Nous sommes presque les seuls visiteurs.
La visite du musée, gratuite (mais la dégustation d'un mol ice cream vaut de l'or) est édifiante, assortie d’un petit film de 20 mn bien monté, sur l’épopée à l’origine de la fondation du village. Après avoir fait connaître notre origine, il nous en est même proposé une version en français.
L'expédition de Hole-in-the-Rock
C'est le franchissement d'un passage extrêmement difficile du convoi dans une impressionnante faille rocheuse donnant sur le Glen Canyon, le "trou dans le roc", qui donne rétrospectivement son nom à cette expédition.
Prévue pour durer 6 semaines, il lui fallut 6 mois pour atteindre sa cible, et fonder enfin ici le village de Bluff.
L'épopée est mise en scène avec l'efficacité d'un bon western. Elle décrit l'expédition dite de "Hole in the Rock" (le trou dans le rocher), plus souvent nommée "l'expédition de San Juan".
Le convoi se compose de 250 personnes (hommes, femmes et enfants), d'un millier de têtes de bétail, et de 83 chariots. Il démarre en novembre 1879 et a pour objectif, en partant de Fourty-Mile-Spring au sud d'Escalante, de trouver au plus court un site d'implantation dans la région dite des "Four Corners" (la seule région des USA où les frontières de quatre Etats Colorado, Arizona, Utah et Nouveau Mexique convergent en un point).
Le seul témoignage de l’arrivée de ces colons est un vestige de maison de rondins précieusement maintenue en l’état originel, mais non restaurée.
sand-sod = sable et herbe ; straw = paille ; burlap = toile de jute
On y trouve aussi la reproduction d'une hutte de terre comme celle où vivaient les Navajos, loin du tipee mal adapté aux rigueurs assez extrêmes de la région : c’est le "hogan". Cette habitation offre l'avantage d'une isolation thermique naturelle très efficace.
Ici un autre "hogan" à Goulding, en face de Monument Valley, pour les touristes
On pourrait envier dans nos campagnes les moyens dont dispose la population locale (on suppose que la richesse mormone en est l’explication) pour créer presque de toutes pièces un tel musée.
Coup de poker menteur autour de Bluff
Vaine ruée vers l'or à la rivière San Juan en 1892
Bluff a aussi connu, à peine plus de 10 ans après sa fondation, une ruée vers l'or à partir de 1892, qui a attiré ici jusqu'à 3000 aventuriers. Mais l'or découvert, une fine poussière était impossible à exploiter.
La ruée s'achève aussi vite qu'elle a commencé.
Mal informés, mal préparés, ils quittent, dégoûtés, plus de 80 km de rives de la rivière San Juan autour de Bluff dès 1893. Certains laissent même "leurs os blanchis sur le sable", et les restes de leur pauvre installation.
Seuls quelques-uns, charpentiers, tailleurs viennent enrichir les métiers de l'artisanat local.
Vers la sortie nord, la route s’encaisse en montant à travers la falaise, comme dans un défilé, appelé « Cow Canyon » s’élevant du village.
Au-dessus d’une haute base finement striée, la paroi presque polie de la falaise bistre est faite d’énormes blocs rocheux ; elle est flanquée de deux hautes et spectaculaires colonnes rocheuses jumelles, chacune surmontée d’un même bloc en forme de chapeau de curé des anciens temps. Bien sûr ici, ce sont les « Twin Rocks ».
Au pied de la falaise, un long et moderne bâtiment de bois aux grandes baies vitrées semble fermé. Au point qu'on hésite à y entrer.
C'est, forcément, le "Twin Rocks Cafe", dont quelques employés Navajos assurent un service efficace pendant que le patron probablement mormon gère en arrière-plan ses affaires.
Pourtant là aussi, presque personne d'autre que nous ; sûrement l'effet saisonnier, car les moyens (bâtiment, souci de la décoration, employés...) semblent disproportionnés en regard de la très maigre clientèle.
Notre hébergement est aussi une belle cabane de bois inspirée de ces habitations anciennes, avec tout le confort, dans un ensemble de modestes dimensions mais de qualité.
Une telle habitation est ici appelée en anglais « cabin ».
Dans le village, une seule station-service au nom de « Sinclair » (bonne information de Guide du Routard), qui est aussi la seule « grocery ».
C’est de Bluff que nous partons le lendemain découvrir le grand site de Monument Valley.